Toujours le 10 avril
Après avoir mangé quelque chose de consistant, car nous avons enfin plein d'argent (Aglaé doit m'arrêter car je veux tout acheter), nous appelons JS.
Nous passons d'abord deux heures à essayer de l'appeler depuis notre téléphone portable, qui conserve encore la carte SIM qui fonctionnait à merveille lorsque nous étions dans le Yunnan (c'est Silvia qui nous l'avait passée, et nous l'avions rechargée à Kunming) . Ce que nous ne savons pas, c'est que notre carte SIM ne marche plus ; d'ailleurs nous ne comprendrons jamais pourquoi elle a cessé de marcher. Donc pendant plusieurs heures nous croyons que c'est le téléphone de JS qui ne marche plus ou qui est éteint... comment savoir ce que raconte la voix en chinois ?
Un cyber inoubliable
Nous vous parlons régulièrement des cybercafés que nous avons pu visiter pendant le voyage. Impossible de ne pas évoquer celui de Shanghai, où nous nous rendons pour vérifier le numéro de portable de JS et lui envoyer un mail pour lui dire que nous ne parvenons pas à le joindre.
La femme qui nous accueille est à l'opposée de tous les gens que nous avons pu rencontrer au Japon, et symbolise toute la mauvaise grâce chinoise. C'est une jeune fille, un peu grasse, habillée et maquillée avec outrance, dans le style gothique. Elle a un air perpétuellement ennuyé, parfois irrité. Lorsque nous nous adressons à elle pour lui demander deux ordinateurs, elle semble énervée, genre "mais pourquoi faut-il que ça tombe sur moi ?". Elle nous demande nos passeports sans nous regarder, les enregistre, nous demande l'argent d'un air méprisant, puis nous jette la monnaie dessus. Quand je dis "jette", ce n'est pas l'image habituelle, c'est littéral : elle nous jette les billets au visage, de la façon la plus sèche et la plus méprisante possible.
Aglaé et moi choisissons d'en rire, mais autant de mauvaise humeur fait mal. Nous sommes pourtant rassurés, d'une certaine manière, par le fait que les autres personnes qui s'adressent à la jeune gothique sont accueillies avec autant de haine muette.
Une fois notre affaire faite, nous nous déconnectons, avant de nous rendre compte que nous avons oublié de faire quelque chose sur internet. Nous retournons au comptoir pour demander une heure supplémentaire à cette chinoise (qui bien entendu ne parle qu'à peine anglais). Elle finit par me regarder, lance un long soupir, puis : "WHAT DO YOU WANT AGAIN ?". Charmante demoiselle, dont il était difficile de ne pas tomber amoureux.
Nous ressortons, nos sacs toujours sur le dos, et décidons d'aller nous promener en attendant que JS rallume son portable. Je fais découvrir à Aglaé le Bund, alors que la masse de touristes semble assez surprise de nous voir avec nos énormes bagages sur le dos. La vue est vraiment spectaculaire, et semble presque fabriquée, avec d'un côté l'Histoire, et de l'autre les gratte-ciels mégalos.
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La Chine ne manque pas de selles
La monumentalité et la majestuosité de l'ensemble sont vite interrompus lorsque, à côté de nous, la mère d'un petit enfant chinois ouvre les boutons pressions de l'arrière du pantalon de son marmot, et le fait déféquer sur le tarmac de l'avenue la plus prestigieuse du pays.
Oui, il faut vous expliquer, c'est un peu déstabilisant. Il faut vous dire que les petits enfants chinois ne portent pas de couches. Jusqu'à ce qu'ils aient environ 10 ans, tous les enfants ont ces pantalons ouverts au niveau des fesses. Lorsqu'une envie leur prend, ils s'accroupissent, ouvrent cette "braguette arrière", généralement fermée par des pressions, et se soulagent. Dans la rue, à l'intérieur (souvenez-vous de la gare de bus à la frontière chinoise), dans le métro : quel que soit l'endroit, ils se lâchent. On voit alors arriver la mère, parfois une femme très élégante, avec du papier toilette à la main, et un sac plastique. Comme avec les chiens en ville, il s'agit de ramasser la crotte, et de la jeter à la poubelle.
Des touristes occidentaux m'ont dit avoir vu des mères remuer leur enfant au-dessus de poubelles, afin de s'épargner l'étape du sac plastique... Poésie...
Pour les Chinois, par contre, aucune honte, puisque cette pratique est complètement normale et acceptée. Deux semaines plus tard, à Pékin, nous avons même vu une splendide statue dépeignant des petits enfants jouant, et même sur cette statue, on pouvait apercevoir leurs petites fesses à travers les trous des pantalons. C'est culturel, comme on dit !
Starbucks - téléphone - starbucks - téléphone
Nous rentrons déjeuner dans le centre-ville. Il fait vraiment chaud, et les sacs pèsent. Nous décidons de nous rapatrier dans un Starbucks après déjeuner. Histoire de continuer avec les grandes chaînes capitalistes, après McDonald's et notre déjeuner à Yoshinoya (chaîne de fast-food japonais). Il y fait frais, et à part les clochards qui passent toutes les dix minutes (le même muet repasse toutes les 30 minutes, et s'énervera à chaque fois un peu plus que nous ne voulions pas lui donner d'argent), personne ne nous dérange. Il y a même des toilettes aisément accessibles et propres dans le centre commercial qui le jouxte. A un moment d'abattement, plus tard dans la journée, j'aurai même l'occasion d'y faire une sieste, perfidement immortalisée par l'appareil photo d'Aglaé :
De ce Starbucks nous passerons la journée à faire des allers-retours entre le café et la cabine téléphonique de l'avenue à côté. En effet après avoir compris que le problème venait de notre téléphone, nous avons acheté une carte, et passons l'après-midi à tenter d'appeler JS.
Toujours aucune nouvelle de lui, ni par mail, ni par téléphone et, lentement mais sûrement, nous commençons à désespérer. Nous sommes arrivés depuis l'aube dans cette ville pas forcément très accueillante, il fait chaud, nous ne savons que faire de nos valises, et n'arrivons pas à joindre notre toit pour la nuit.
Après plusieurs heures où nous finissons par être un peu à bout, la nuit tombe. Les immeubles se parent d'atours colorés et de néons kitschs. Un homme joue du saxophone à la fenêtre d'un centre commercial. Je continue à faire mes allers-retours, nous continuons à squatter le Starbucks, le clodo continue à nous harceler (quelle misère que les grandes villes chinoises !).
Nous décidons d'arrêter de tenter de joindre JS, qui a dû avoir un problème. Nous nous mettons alors à appeler la poignée d'hôtels que nous pouvons nous offrir à Shanghai. Tous sont pleins, et le désespoir monte en même temps que les prix des hôtels non-pleins. Finalement, au moment où nous nous enfonçons dans l'échec, je demande à tout hasard au patron d'une énième auberge de jeunesse pleine s'il connaît un établissement libre :
- Nous avons une annexe à Pudong, mais je ne sais pas s'il y a de la place, je n'ai pas accès à leurs fichiers !
Nous appelons l'annexe du Captain Hostel située de l'autre côté du fleuve : elle dispose bien de lits pour nous ! Soulagement intense, mais nous sommes quand même à bout de forces, après cette journée à attendre... pour rien.
Pudong, dessin d'architecte
Nous prenons le métro, et débarquons à Pudong, le pays des extra-terrestres.
J'exagère à peine. Pudong, de loin, est une cité visuellement superbe : grands immeubles de verre conçus par les plus grands architectes, qui se livrent à une stimulante course à l'audace verticale. De près, l'impression d'être des fourmis prédomine l'ensemble. A New-York, à Bangkok, vous êtes une fourmi au milieu des immeubles, mais il y a tellement de fourmis qui vivent autour de vous, que ce n'est pas grave, que vous n'avez aucun complexe à faire des choses de fourmis au milieu des géants.
A Pudong, il n'y a pas de fourmis autour de vous. Il n'y a que des voitures. Les avenues y sont plus gigantesques que de l'autre côté du fleuve, les trottoirs sont des autoroutes, il n'y a pas de magasins : Pudong est une ville morte. Tout le monde semble s'être réfugié dans les étages des grandes tours. Nous errons bien 40 minutes pour trouver notre hôtel, faisons des détours gigantesques, car il est impossible de ne pas se perdre dans cet endroit. Faire 100 mètres est aussi long que faire un kilomètre, dès lors qu'il faut traverser des rues à 8 voies, dont les feux sont rarements piétons.
Pudong représente le plus grand défaut de l'urbanisme à la chinoise (qui a des milliers de qualités), qui est un urbanisme centralisé, autoritaire, tout-puissant : son principal risque est de créer des villes qui ressemblent à des plans d'architecte, très impersonnelles, et en tout cas pas du tout à échelle d'humain.
Au Captain Hostel, ambiance visuellement fun (l'auberge est une reconstitution de bateau, avec fenêtres rondes comme des hublots, et mille détails faisant d'elle une auberge "à thème"), mais accueil froid comme tout : deux énergumènes qui ont oublié leur sourire dans leur village natal nous font signer les formulaires sans nous parler.
Aglaé fera une rencontre étonnante dans son dortoir : elle sympathise avec une Chinoise qui semble littéralement vivre là. En effet cette dernière, qui n'a pas la jeunesse afférente à une auberge de jeunesse, a amené tous ses habits, qu'elle accroche sur un portant à l'origine mystérieuse, ou qu'elle plie sur un des lits, qui n'appartient visiblement à personne.
Dans mon dortoir, un vieillard fait irruption, crache tout l'intérieur de son gosier, puis va se coucher. Ne sommes-nous pas plutôt dans une auberge de vieillesse ?
Pour clore cette journée impossible, nous décidons, avant de nous coucher, un peu au hasard, de passer un coup de fil à JS. Et là, miracle, il décroche :
- Allô, JS ?
- Oui, c'est toi Charly ?
- Ouah... tu es vivant ? Pas eu d'accident ?
- Non, non, ça va, j'ai essayé de t'appeler toute la journée, pas réussi à t'avoir, il est cassé ton téléphone ou quoi ?
- euh oui, mais nous aussi on a essayé de t'appeler, on n'a pas réussi à t'avoir !
- mon portable était déchargé, je sais, désolé. En tout cas, moi j'ai relu le mail que tu m'avais envoyé, tu m'avais dit que vous arriviez dans deux jours !
- Quoi ?
- Oui oui, tu m'avais dit que tu arrivais le tant, c'est dans deux jours. Donc moi je peux vous loger à partir de demain, pas de soucis, mais pour ce soir c'est mort, y a ma mère qui loge chez nous.
- Ah mais non c'est pas grave, nous avons une auberge de jeunesse pour ce soir.
Je raccroche. Je repense à ce mail, que j'avais dû envoyer en me trompant, à l'époque où nous pensions encore prendre un autre bateau depuis le Japon, qui arrivait directement à Shanghai.
Silence. Je regarde Aglaé que j'avais osé engueuler quand elle s'était trompé de date pour le bateau. Son regard est particulièrement haineux.
Ah ah ! De mieux en mieux.
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