Le Japon n'a rien à faire des cerises. Je me demande même s'ils mangent les fruits de leurs millions de cerisiers. Seules comptent les fleurs, les excroissances blanches, fulgurances d'avril, qui ont inondé notre séjour.
La dernière journée que nous avons passé à Kyoto en était particulièrement pleine, de ces fleurs blanches et passagères. Nous nous étions mis en tête de passer d'un temple à un autre par le fameux Chemin de la Philosophie, ancien chemin utilisé par les penseurs et méditants des temps anciens du Japon. Le premier des temples n'avait, à mon souvenir, pas d'intérêt particulier : il restait aussi beau que la plupart des temples zens de Kyoto, sans être marquants. Grands espaces, arbres tombants, ombre et calme. Mais, en ce dimanche rayonnant de soleil (contrairement à la veille où nous avions subi le crachin), tout le monde semble s'être donné rendez-vous dans les environs. D'où une effervescence dans le vent qui souffle dans les environs.
Nous suivons au hasard un vieil acqueduc qui semble survoler des parties cachées du temple. Il y a là un monde fou, suivant un petit cours d'eau - celui-là même qui donnait sur l'acqueduc. Nous marchons un peu au hasard, sans savoir s'il s'agit là de la voie à suivre pour atteindre le chemin de la Philsophie (probablement non). Nous débouchons dans un minuscule parc, devant une vieille usine de traitement d'eau, transformée en relique rouillée. L'endroit est charmant, la foule limite oppressante. Nous prenons un autre chemin, qui nous guidera jusqu'au chemin de la Philosophie de la manière la plus douce qui soit.
En effet se trouve ici une voie ferrée désaffectée, qui descend en pente douce le long d'une longue ligne de cerisiers gorgés de fleurs. Des vendeurs de hot-dogs et de glaces jalonnent ce parcours parfait, fait de rails poussiéreux, de larges planches pourries et de pétales rose-blanc. Inutile de préciser qu'il y a beaucoup de monde, mais à quoi bon s'en plaindre ?
Partout où il y a des cerisiers au Japon, il y a d'ailleurs un certain nombre d'appareils photos accompagnés de leurs propriétaires. Ces allumés de l'appareil photo, avec leurs télé-objectifs plus longs que leurs bras, s'extasient et mitraillent les cerisiers, chaque année depuis des années. Je suis assez curieux de l'utilisation qu'ils font des piles de photos de fleurs de cerisiers. Mille photos par an, multipliées par une moyenne de 30 ans, cela fait un nombre de photos de cerisiers qui donne le tournis.
Nous descendons cette allée un peu comme dans un rêve. Aglaé est plus qu'enchantée, elle est au bord du délire devant ce déluge de fleurs. Je suis presque jaloux de cet amant, la Nature, qui lui fait un cadeau que je ne pourrai jamais égaler, même en dévalisant plusieurs Monceau Fleurs dans la même journée.
Le Philosophe, solitaire devant sa pensée
Nous finissons par atteindre la promenade de la Philosophie. Soudain, l'impression d'être à H&M un jour de soldes, ou à la poste du Louvre le dernier jour pour payer ses impôts : un flot continu de gens avance mollement, tel un long verre de terre fatigué. La Promenade de la Philosophie, qui longe elle aussi un cours d'eau charmant entrecoupé de petits ponts charmants et de cerisiers charmants, est littéralement bondée. Comme toujours au Japon, bondée à raison. Plutôt qu'un chemin, il s'agit bien plutôt d'une grande rue, où il est difficile de déterminer qui, des touristes ou des fleurs de cerisiers, sont les plus nombreux. Difficile de réfléchir aux grandes questions philosophiques, dans ces conditions. C'est terrifiant parce que c'est très beau mais très oppressant. A un moment donné, nous nous extirpons de ce flot humain pour regagner un havre de paix, un petit temple isolé dans d'épais bois. Malheureusement, il est en train de fermer, et nous en déduisons qu'il faut nous dépêcher de nous rendre à l'arrivée de l'Autoroute de la Philosophie.
S'y trouve en effet un des plus célèbres temples de Kyoto, le Pavillon d'Argent. Très mystérieux en cette fin d'après-midi, le Pavillon d'Argent est un rêve de jardinier : masses de gravier en forme de cônes, murailles de végétation, une trentaine de mousses de couleurs différentes pour les dégradés, et une promenade pour avoir de beaux points de vue sur le temple (qui, en travaux, n'avait aucun intérêt en lui-même). Nous sourions en voyant un enfant se faire sauvagement réprimander lorsqu'il dépasser les barrières pour aller jouer avec les tas de graviers méticuleusement disposés.
Au revoir Kyoto
Un retour en bus, qui prendra vraiment des heures, avant de s'interrompre brutalement (tout le monde a dû sortir du bus d'un coup, notre absence de maîtrise du japonais n'a pas aidé à éclaircir la situation), mettra fin à notre séjour à Kyoto. Nous sommes un peu tristes de partir de cette ville : une ambiance douce, facile, humaine, un patrimoine culturel dont il est impossible de faire le tour en moins d'une semaine, des bons souvenirs uniquement. Nous sommes aussi un peu en rage d'avoir perdu tant de temps dans les transports entre Kyoto et Osaka, à cause de tous ces hôtels pleins dans l'ancienne capitale impériale.
Nous récupérons une dernière fois nos bagages à Osaka, et repartons en quatrième vitesse pour Nara, ville qui possède le temple le plus fou du Japon, que nous voulons rapidement visiter le lendemain. Nous nous sommes faits une des rares folies du séjour dans le pays en réservant une nuit dans un ryokan.
Mais qu'est-ce qu'un Ryokan, Charles ? Tous les hébergements du monde sont identiques, au fond. Vous êtes soit dans un dortoir, soit dans une chambre, dont la qualité variera, mais ça restera toujours un modèle européen. Un lit, une table de nuit, des draps, une petite salle de bain privée. Vous pourriez être partout, si vous ne regardez pas par la fenêtre. Avec un peu de chance, vous pouvez finir dans un bungalow, mais même là seul l'extérieur changera d'aspect. A l'intérieur, toujours la même chambre d'hôtel. Seul le Japon propose un type d'hébergement absolument unique, le ryokan. Il s'agit d'une auberge japonaise, à la japonaise, où tous les détails sont légèrement différents. Les chaussures à laisser à l'entrée, les chaussons pour se déplacer dans l'hôtel, les petits chaussons pour les toilettes, est un classique japonais auquel, à ce moment du voyage, nous sommes quasiment déjà habitués. Mais dans un ryokan c'est bien plus que ça.
Les chambres du nôtre s'organisaient autour d'une cour-jardin, un jardin japonais déjà ravissant en soi : lanternes japonaises, petit pont, petites mares, végétation luxuriante. Le tout, baigné par la lune, était d'un romantisme à se damner. Autour de ce jardin, les bâtiments en bois qui accueillaient les chambres, des petites chambres japonaises. Le sol est recouvert de tatamis, le lit est caché dans un placard (on le déroule par terre avant de se coucher), l'ameublement est minimaliste et zen. Des panneaux coulissants permettent d'atteindre une terrasse qui donne sur le jardin. De quoi faire du thé japonais, et de l'eau chaude. Des yukatas, robes de chambre japonaises, nous attendent sagement pliées. Et je peux vous dire, une fois que vous avez pris votre bain dans la salle de bain commune, avec baignoire d'eau brûlante gigantesque (comme dans un onsen, sauf que là nous étions seuls), une fois que vous avez déroulé votre futon sur le tatamis, pris votre thé, refermé les panneaux coulissants, vous vous doutez que vous êtes au Japon !
Et où sont donc passées les 996 autres photos de cerisiers que vous avez dû prendre ?
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