lundi 29 juin 2009

Mes amis Youri, la réceptionniste blonde et la Française d'Afghanistan

Litsvyanka, le 8 mai

C'est un peu au hasard que nous avons déniché cette adresse. Des écriteaux marqués en anglais indiquaient une sorte d'auberge, mais il avait aussi le mot "appartement". Un peu perdus dans ce village (nous n'avons pas de plan), nous nous étions dits que nous pourrions toujours tenter ça.

Alors que nous allons taper à la porte d'un petit chalet en bois perdu derrière une barre d'immeuble, une fenêtre s'ouvre à l'étage dudit immeuble. Un homme nous crie en russe quelque chose. Sa tête disparaît, une seconde plus tard, il sort de l'immeuble. C'est un gros homme souriant et débonnaire, bouillant d'énergie.

Youri (c'est son nom) ne répond pas à nos vagues questions en russe : il se saisit d'une grosse clé, nous fait visiter l'appartement qu'il loue. C'est un minuscule chalet, tout en bois, avec deux grandes chambres, une cuisine et une salle de bains en état de fonction : bref, un truc très mignon. Il court dans tous les coins, nous montre le chauffage, l'eau chaude, les draps, tout. Il ne parle pas anglais, ou si peu, mais se fait comprendre avec des grands gestes, ou bien en répétant un mot en russe. Son spectacle est drôle, et il se fait plutôt bien comprendre.

Youri se comporte comme si nous avions dit "oui", alors que, ne sachant pas combien il loue ce petit appartement, et se doutant que c'est au-dessus de nos moyens, je ne suis pas très partant. Au bout de la cinquième fois que nous lui demandons le prix, il me demande un carnet et un stylo. Il réfléchit, puis entame un speech en russe. Il écrit "3000 roubles", chiffre qu'il raye immédiatement en disant "student price", puis écrit "2000 Roubles" : oui, il marchande tout seul. Nous le regardons médusés.

Je propose moins, il accepte en nous serrant la main, après avoir fait baisser son chiffre de départ de 50%. Nous n'en revenons pas d'avoir ce petit appartement, qui nous fait enfin nous sentir un peu chez nous !


Paperasserie russe (pléonasme)
Un dernier truc nous chiffonne cependant : chaque visiteur en Russie doit, à son arrivée sur le territoire, se faire enregistrer par la police, puis dans chaque nouvel endroit où il reste plus de 72 h. En réalité cette règle, héritée des temps joyeux de la bureaucratie soviétique, est le prétexte à des trafics en tout genre. Les grands hôtels enregistrent automatiquement et gratuitement leurs clients, mais les petits hôtels font généralement payer ce service... ou sinon il faut s'adresser à d'autres hôtels, qui le font contre des sommes d'argent plus ou moins grandes selon l'humeur.

Or il est évident que l'ami Youri, qui loue sûrement son appartement au black, ne nous enregistrera pas. Nous lui demandons mais il nous répond une chose vraie : c'est trop tard pour aujourd'hui, demain c'est un jour de fête nationale (capitulation de l'Allemagne nazie), et après c'est dimanche, donc impossible de nous enregistrer.

Aglaé n'est pas très rassurée : si nous nous faisons contrôler par des policiers, cela arrive souvent qu'ils demandent le certificat d'enregistrement, et nous ne pourrons le leur montrer. Ca risque de finir par une grosse amende, qui finira dans la poche dudit policier. La quête d'un enregistrement oriente donc notre balade au village.

Premier essai, une auberge de jeunesse : le patron ne parle pas anglais, appelle sa femme. Celle-ci arrive avec une tête d'enterrement : "Vous voulez quoi ?"
- Euh... enregistement ?
- Vous voulez une chambre ?
- Euh, non, juste l'enregistrement.
La femme nous claque la porte au nez sans répondre. Quel accueil ! Alors que nous commençons à partir, le mari ouvre la porte timidement, chuchote : "vous devez être clients pour être enregistrés" et la referme, à demi-honteux de cette désobéissance à son molosse de femme.

Deuxième essai, la poste : nous demandons "enregistrement ?", la préposée soupire et hausse les yeux au ciel. Pas d'autre réponse. Nous nous en allons, dépités : est-ce que les Russes gentils existent ?

Au hasard de notre promenade sur l'inoubliable front de mer de Litsvyanka (ah la vue, mais quelle vue !), nous croisons à nouveau les deux Hollandais rencontrés le matin même à la gare d'Irkoutsk. Quel petit monde ! Nous discutons un moment avec eux. Ils sont dans un petit hôtel complètement vide, en bordure du village. Peut-être pourrons-nous obtenir un enregistrement sur place...

Avant de les suivre, nous achetons du pain pour le lendemain, dans un supermarché soviétique. Le concept du supermarché soviétique est étonnant : ce n'est pas vous qui choisissez des produits avant de les amener à la caisse, c'est la caissière qui va chercher les produits que vous indiquez. Façon de faire évidemment anti-productive, chaque client monopolisant la caissière plus longtemps, mais cela semble être une mesure de méfiance contre le vol...

(cela dit, en Asie, nous étions toujours suivis par les vigiles dans les supermarchés !)


Le sourire d'une blonde
L'hôtel des Hollandais est effectivement complètement vide, c'est un grand resort en bois, tout neuf, tout déprimant. Après de longs couloirs, nous atterrissons à l'accueil. D'un côté, une femme très laide regarde la télévision avec un air buté. De l'autre, la Russe qui sauve tous les Russes : une jeune belle blonde aux yeux bleus souriante !

Nous lui parlons avec angoisse, car autant le dire, nous nous attendons à nous faire jeter comme des malpropres. Elle écoute notre requête, nous répond dans un anglais parfait que c'est impossible pour elle de faire ça maintenant. Mais elle nous dit qu'elle va se renseigner sur notre situation.

Pardon ?

Avant que nous n'ayons le temps de réagir, elle empoigne son téléphone et passe une série d'appels. Elle contacte tous les hôtels d'Irkoutsk. Parle. Attend, rappelle. Bref, elle semble complètement dévouée à deux inconnus, qui plus est qui ne sont pas clients de l'hôtel... Nous n'en revenons pas. Elle raccroche, et nous informe que nous n'avons pas de soucis à nous faire : le train qui nous emmènera à Moscou part d'Irkoutsk moins de 72 heures après notre arrivée, donc il n'y a pas besoin d'enregistrement. Elle est formelle. Nous pouvons enfin souffler.

Cette jeune femme blonde engage ensuite la discussion. En apprenant que nous sommes Français, ses yeux s'illuminent. Elle commence à nous parler de l'alliance française d'Irkoutsk, qui est très dynamique. Elle évoque avec envie et bonheur une amie à elle, qui s'est mariée à un Français. En gros, il est évident qu'elle rêve de rencontrer des Français (comme moi), afin de sortir de son trou, et d'éviter les hommes russes.

(ah nous ne vous l'avons pas dit ? de l'aveu des femmes russes, de TOUTES les femmes russes, les hommes russes sont juste irrécupérables : violents, très souvent alcooliques, toujours machos, ils sont la cause d'une recherche éperdue de maris étrangers, de la part des femmes russes)

(ah on ne vous l'a pas dit non plus ? A cause de l'alcoolisme et du suicide, l'espérance de vie des hommes russes est de 12 ans inférieure à celle des femmes russes)


En gros cette femme, que nous quittons à regret tant sa gentillesse nous impressionne, cette femme dis-je est jalouse d'Aglaé.

Nous dînons sans Elvanne dans un petit restaurant en bord de lac. Il n'y a que deux plats possibles, le vlov ou la shashlik. N'ayant aucune idée de ce que ça peut être je commande les deux, nous nous retrouvons avec une brochette et du riz huilé aux légumes. Ca aurait pu être pire.

Pendant le dîner nous regardons autour de nous ces Russes. Les hommes sont de manière générale affreux, les femmes magnifiques. Tous ont les yeux bleus. Comme nous sommes prêts de territoires historiquement mongols un bon paquet de gens a des traits asiatiques. Eux n'ont pas les yeux bleus. Tous nous fascinent.

Une femme de tête
La soirée se passera à discuter avec Elvanne. Cette femme de tête a une longue vie derrière elle. En gros elle accepte n'importe quel emploi à l'étranger : elle a donc passé un an en Afghanistan, a travaillé en Argentine et sort d'un an en Malaisie. Elle a bien sûr des milliers d'anecdotes à raconter ce qui rajouté à son sens de l'humour rendra la soirée délicieuse.

La joie de la bureaucratie russe

Irkoutsk, le 8 mai

"Arrivée en Russie par une aube grise, sous une pluie glacée."

J'aurais rêvé pouvoir employer une autre phrase pour décrire notre premier contact avec le pays russe, mais impossible de faire autrement. Fatigués d'un réveil peu tardif, c'est non sans galères que nous trouvons le guichet pour acheter des billets Irkoutsk-Moscou. Comme dans l'épisode de la Maison des Fous de Astérix aux Jeux Olympiques, nous sommes renvoyés de guichets en guichets. Lesdits guichets sont tenus par des femmes russes typiques : un air déprimé masque mal leur désespoir existentiel, et c'est avec lassitude qu'elles nous indiquent le chemin à suivre.

A noter que notre niveau en russe (ou plutôt notre absence de niveau en russe) ne nous a pas empêché de ruser pour nous faire comprendre. Nous avons recopié en cyrillique des phrases toutes faites pour réserver un billet, phrases que nous avons trouvées dans notre guide, et avons ajouté notre destination en Cyrillique : Москва.

Le véritable guichet se trouve à l'étage de la gare, dans un grand salon chic (mais pourquoi ?). Nous devons attendre quelques dizaines de minutes, car il ouvre à 8h. En allant chercher de l'argent au distributeur automatique, je croise une jeune femme européenne qui était dans notre wagon. Nous n'avions pas eu l'occasion de discuter, mais je me doute bien que vu son air perdu, elle cherche le même guichet que nous.

Je l'aborde en anglais, elle me répond avec un fort accent français : elle vient de notre pays ! Il s'agit d'Elvanne, qui va nous accompagner pendant deux jours.

Suite des mésaventures de la bureaucratie russe : à l'ouverture du guichet nous nous précipitons avec notre papier. La jeune femme, lasse dès l'ouverture du guichet, nous donne les horaires possibles pour notre jour de départ. Horreur ! Le seul train disponible roule pendant 4 nuits et trois jours, et arrive à Moscou à 4h du matin, au lieu du train que nous croyions pouvoir prendre, qui ne roule "que" trois nuits, et arrive à des heures décentes. Calamité !

Encore une fois nous devrons prendre un train plus long que prévu. Nous regardons les prix, et là c'est la surprise : les billets coûtent trois fois moins cher que prévu ! Normalement un billet Moscou-Irkoutsk coûte environ 250 euros, là ça coûte environ 90 euros. La faute aux taux de change peut-être (le rouble a beaucoup baissé par rapport à l'euro), la faute à un train plus lent surtout. Mais quand bien même, nous sommes assez hallucinés, car il s'agit de la deuxième classe, avec cabines fermées, etc.

Après avoir un peu réfléchi, car l'arrivée à 4h du matin ne nous enchante pas, nous acceptons notre sort : après tout, rester plus longtemps dans le train ne fera que rallonger l'expérience Transsibérien dont nous rêvions, non ? Revenus au guichet, nous apprenons la plus étrange des nouvelles : après n'avoir rien compris à ce que nous dit la guichetière qui nous montre une horloge, nous déduisons que son guichet, qui ouvre à 8h, ne vend pas de billets avant 9h00.

Une question nous ronge encore : mais pourquoi ouvre-t-elle si elle ne peut pas vendre de billets.

Après être allés boire un café avec Elvanne, qui a retiré sa réservation et nous accompagne pour nous supporter, nous retournons à la charge du guichet n°3. Il est 9h15, mais la dame nous annonce qu'elle ferme.

Récapitulons s'il vous plaît.
- le guichet ouvre à 8h
- il ne vend rien jusqu'à 9h
- il ferme à 9h15.

Logique.

Lumière
Entretemps un autre guichet a ouvert juste à côté. Dans la queue, nous faisons connaissance avec deux Hollandais, deux beaux garçons, souriants, francophones et sympathiques. Quand notre tour vient, le cinéma du papier en cyrillique recommence, mais cette fois-ci la dame, qui connaît une poignée de mots en anglais et ose s'en servir, est souriante, disponible et accueillante. Une véritable source d'espoir, surtout pour moi qui n'avait que des souvenirs immondes de mon passage à l'aéroport de Moscou, un an auparavant.

Une fois les précieux billets en notre possession, nous partons direction Litsvyanka. Pour la première fois du voyage depuis l'Inde, nous n'avons plus aucune démarche bureaucratique à faire : plus de billets à acheter, plus de visas, plus rien ! Ah la tranquillité d'esprit !


Trams et minibus
Accompagnés d'Elvanne, qui se rend dans le même village que nous, nous traversons la ville en tram afin de rejoindre la gare routière. Tout est différent et nouveau pour nous : les maisons en bois sculptées, le fait de ne plus être remarqués comme touristes (tout le monde est Blanc), les trams, le fait même que tout semble vieux et rempli d'histoire. Nous sommes enchantés de toute cette européanité.

A peine le temps d'admirer le charme d'Irkoutsk, et nous voilà déjà dans un minibus en direction du village de Litsvyanka, et du lac Baïkal que le bourg borde. C'est un Russe carré comme une armoire à glace, et qui parle un anglais parfait (probablement un ancien espion !), qui nous a sauvé de grosses incompréhensions en nous expliquant les tarifs du bus. Nous sommes effarés : comme en Chine, personne ne parle anglais en Russie !

Le lac le plus profond du monde !
Le lac Baïkal, où nous arrivons après une course de minibus effrenée, est splendide. Au bout d'une plaine d'eau qui évoque plus une mer qu'un lac, une rangée sans fin de montagnes enneigées semble tremper ses pieds dans l'eau, comme les dents d'une machoire dont le lac serait le palais.

Je suis médusé. Le village, qui se développe à vitesse grand V à cause du tourisme, est aujourd'hui complètement endormi : nous sommes hors-saison. Vous êtes déjà allés dans une station balnéaire hors-saison ? L'ambiance qui y règne est délicieuse et mélancolique, un peu comme un joli village fantôme.

Les petites baraques en bois sculpté semblent sorties d'un conte de fées. Quelques hommes coupent du bois, des adolescents blonds se promènent, l'oeil un peu sauvage. Nous sommes bien en Sibérie !

C'est à ce moment que nous faisons la connaissance de Youri...

Sur les chemins de la contrebande : Ulan-Bator --> Irkoutsk


6 - 8 mai
36 heures de train

La providnitsa nous conduit dans notre cabine. Elle est occupée par une charmante dame australienne. C'est une prof retraitée très pimpante et d'une charmante conversation. Elle a un petit côté british quand elle s'exclame toutes les 5 minutes : "Oh, lovely !"

Les steppes mongoles défilent par la fenêtre, nous "cuisinons" nos habituelles nouilles instantanées, et nous montrons comment les cuire à notre voisine héberluée. Le voyage semble devoir être sans surprise. Mais à l'approche de la frontière, un quatrième passager arrive dans notre cabine, introduit par la provodnitsa. C'est une dame mongole qui semble extrêmement chargée de sacs. Elle nous fait un petit sourire en coin puis se met au travail...

Elle sort d'abord des habits de sport neufs. Elle arrache les étiquettes, les jette puis retourne joggings et T-shirts pour qu'ils ressemblent à du linge sale. Elle sort ensuite toute une série de sacs de sports neufs et les range les uns dans les autres, comme des poupées russes, jusqu'à ce qu'ils ne forment plus que deux gros sacs. Elle range les habits neufs en boule dedans.
Puis elle passe aux produits alimentaires: d'abord des paquets de thé chinois qu'elle dissimule ici et là, puis une douzaine de bouteilles de whisky, et pas n'importe lequel : du Chivas Regal ! Elle plie soigneusement les boîtes en carton de chaque bouteille et les cache dans des sacs. Elle fait ensuite disparaître les bouteilles une à une, dont une au fond de son sac à main.
Une autre dame mongole, qui exerce apparemment la même activité, passe de temps en temps la voir. La providnista a l'air de bien s'entendre avec elles ; elle trouve sans aucun doute son intérêt dans ce trafic.
Notre contrebandière finit son œuvre en soupoudrant les coins sombres du compartiment de baskets neuves et de casquettes de marque (toujours empilées en mode poupées gigognes).

Nous faisons part de ces événements à la bonne dame australienne plongée dans son livre. Elle est affolée et semble avoir des palpitations. A l'évidence, c'est le plus grand morceau d'aventure de sa vie paisible. Ce manège nous fait quant à nous bien rire et nous engageons des paris : je souhaite le succès de la contrebandière mongole, Charly prend le parti du douanier russe qui ne va pas tarder à arriver.

Nous attendons avec impatience la frontière. De toute façon nous allons y passer des heures inutiles ; un peu de suspense est le bienvenu !

Le passage des officiers de l'immigration se passe bien. C'est plutôt nous qui sommes stressés de ne pas avoir coché le bonne case d'un formulaire russe un peu obscur. Le douanier arrive enfin, avec son regard bleu acier et son élégant uniforme. La contrebandière mongole est un peu fébrile, la dame australienne est tellement stressée qu'elle ne comprend pas quand il lui demande d'où elle vient, nous répondons à cette même question puis retenons notre souffle.

Le douanier demande en russe à la dame mongole d'ouvrir son sac, elle transpire le stress et s'exécute en lançant un flot de paroles en russe. Elle est très forte et ne fait surgir de son cabas qu'un amas de vêtement. Mais le douanier a déjà détourné le regard pour remarquer une basket rose fluo et flambant neuve mal dissimulée. Charly esquisse déjà un demi-sourire de victoire.

Nous avons les yeux rivés sur la scène. La dame mongole parle, parle, parle puis rassemble ses deux mains comme si elles étaient menottées. Le douanier répond des choses en russe puis... tourne les talons, sans fouiller les autres sacs ! Aucun billet n'a été glissé dans sa main - nous en sommes certains. Pourquoi est-il parti ? Le mystère demeure mais j'ai gagné le pari !

Le passage de la frontière se passe sans autre fait notable, si ce n'est des toilettes fermés pendant de longues heures et la présence de changeurs à l'air et aux taux louches. Nous quittons la frontière à la nuit tombée, la contrebandière mongole a disparu.

La nuit tombe, nous allons louper la magnifique vue sur le lac Baïkal !

Charly se lève quand même à 4h30 du mat' pour voir si on aperçoit le lac, mais on ne voit rien et il se rendort aussitôt. Je me relève un peu plus tard mais on n'aperçoit rien de plus que des bouleaux. Tant pis ! Nous approchons de notre premier arrêt en Russie : Irkoutsk, tout le monde descend !


Et pour finir, nous vous laissons contempler l'inénarrable classe russe (deux voyageurs de notre compartiment) :

dimanche 28 juin 2009

La queue entre les pattes - retour à UB

Une vue du centre-ville d'Ulan Bataar

5 - 6 mai

Nous débarquons du bus, un soleil éclatant nous tape au coin de la figure. Nous tirons une tronche pas possible. Après être rentrés à l'hôtel, nous déposons nos sacs, prenons une douche amplement méritée (pas de vraie douche depuis 3 jours !) et partons illico en direction de l'agence de voyage, encore ouverte à cette heure-ci.

Nous avions tout à redouter de l'agence : s'ils ne se montraient pas coopératifs, s'ils étaient des arnaqueurs habitués à ce genre de retours, ils auraient eu vite fait de nous demander de déguerpir. Nous avions deux objectifs, un majeur (leur faire savoir que c'était un scandale la façon dont nous avions été traités) et un mineur (récupérer un peu d'argent, histoire de récupérer un peu de dignité) .

Pour faire vite sur un sujet encore un peu sensible, l'agence Ger to ger s'est montrée très coopérative. La responsable semblait surprise de notre récit, a pris note de notre plainte pour la vérifier auprès des deux familles, puis nous sommes partis. Le lendemain, après quelques atermoiements et contre-rappels aux familles, nous avons obtenu une certaine reconnaissance de l'anormalité de la situation.

Et des explications : 1) la femme de notre première hôte est tombée malade. Au lieu de nous en informer (ce qui était possible avec les mots de notre lexique mongol-anglais qu'ils avaient lu), ils ont préféré nous "léguer" à leur beau-fils, qui n'avait pas été formé à prendre soin des étrangers. Le mari a dû s'occuper de sa femme, et nous a complètement oubliés.
2) le cheval blessé que j'avais aidé à secourir a été la cause de notre abandon total de la part du chef de la seconde famille ; le soir et le lendemain matin il a dû l'amener chez le vétérinaire. Il ne s'est pas rendu compte que nous aurions adoré aller chez le véto plutôt que de ne rien faire en attendant une activité prévue.

Passons. Cet épisode nous a beaucoup énervés, et pas mal déçus : si le tour en chameaux et en chevaux était inoubliable, notre séjour en Mongolie nous laissera un goût amer: nous avions seulement 3 jours pour vraiment découvrir le pays et nous en avons passé 2 à attendre. Maintenant, il est trop tard, nous partons bientôt, ne reviendrons pas de sitôt. Ce constat confèrera à notre dernier jour à Ulan Bator une atmosphère un peu molle : nous étions déprimés, à la fois par cet épisode et par la fin du voyage, et assez épuisés aussi.

Freaky Koreans
Nous retournons dans notre auberge sur les toits, l'occasion d'ailleurs de faire une lessive à la main en plein air. Nous croisons deux couples : le premier est un couple de Français qui se rendent le lendemain à une expédition Ger to ger ! Nous leur expliquons qu'il ne faut pas forcément s'attendre à une grande interaction avec les familles - notre but est qu'ils ne soient pas aussi déçus que nous l'avons été. Nous discutons un peu avec la fille : intermittents du spectacle, ils ont fait une pause de 15 mois dans leur vie, pour faire un tour de l'Asie. Ils ont traversé deux fois moins de pays que nous, mais ont passé minimum deux mois dans chaque. Nous avons adoré le Laos, la Thaïlande, le Vietnam et le Cambodge, mais imaginer y passer 10 mois consécutifs nous dépasse complètement ! Question de rythme, évidemment...

Le second couple, qui loge dans notre chambre, est le couple le plus bizarre du monde. Composé d'un Coréen et d'une Japonaise, tous deux ont exactement le même look : la queue de cheval, les lunettes, les habits... Impossible de les distinguer l'un de l'autre. La femme ne dit rien, et semble complètement aux ordres de son petit ami coréen. Ce dernier, par contre, nous parle sans arrêt, avec un accent du Sud des Etats-Unis très traînant, un peu insupportable. Il mange ses mots, fait des réflexions bizarres sur tout. Sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi, ce couple morbide nous met très mal à l'aise !!!

Vive la nourriture mongole
Juste avant notre départ pour l'expédition semi-ratée, j'avais forcé Aglaé à rentrer dans un restaurant au hasard. Nous avions avisé le premier restaurant trouvé devant notre auberge, ça s'appelait le Green House, en néons verts devant un établissement qui semblait plongé dans la pénombre.

Je propose à Aglaé d'y aller, elle me répond : "Non, malheureux, je suis sûre que c'est un endroit louche, regarde il y a marqué XXX !!!!
Je me retiens péniblement de rire, puis j'éclate. Au-dessus de la porte qui menait au restaurant, il y avait effectivement un écriteau avec trois grosses lettres : "XXK". Sauf qu'il s'agissait de cyrillique, et que c'était donc un panneau avec écrit "RRK".

Nous avions découvert un restaurant incroyable : à des prix bien inférieurs à ceux pratiqués dans les restaurants internationaux pour touristes et expatriés, ce restaurant très design proposait une nourriture mongole simple mais très bonne et bien présentée. Steaks avec du riz, soupes de raviolis de viande, escalopes : rien que du classique. L'ambiance du restaurant est particulièrement bonne : des télévisions sont accrochées au mur, nous sommes installés dans de profonds canapés moelleux, buvons dans de grands verres élégants. Vous l'avez compris, nous avions trouvé un restaurant chic, à des prix chics !

Pour mieux mesurer l'étendue de notre plaisir, il faut s'imaginer que ce restaurant chic était la première occurence, au moins depuis notre départ du Japon, d'un établissement à la décoration réfléchie et travaillée. Cinq semaines de cantines glauques en Chine nous avaient fait oublier à quel point un restaurant pouvait être un endroit agréable !

Nous y retournons plusieurs fois à notre retour, afin de noyer notre déprime dans des Martinis à 1 euro, engoncés dans des canapés bien plus mous que les selles des chevaux mongols. Et bizarrement, ça marche !

Bye bye Mongolia
Notre dernière après-midi, c'est encore la tournée habituelle des supermarchés et des cybercafés, avant de reprendre le train. Les supermarchés mongols proposent d'ailleurs une variété et une quantité de vodkas assez rare dans nos contrées !

Ca me rappelle une anecdote que j'ai oublié de vous raconter. Lors de notre premier passage à UB, un soir que nous traînions avec Charles M., le globe-trotteur en chaussures Bateau, nous passions près du lit asséché de la rivière. Cette longue tranchée sépare la partie soviétique de la ville du camp de yourtes. D'un côté, le béton et les rues carossables, de l'autre, des pistes en terre absolument impraticables. Entre les deux, cette longue cicatrice, au fond de laquelle coule un mince filet d'eau, recueille toutes les ordures du quartier. Dès qu'il fait un peu chaud, une odeur nauséabonde s'en élève, et lorsque nous la traversons sur les fragiles ponts en bois, nous nous bouchons systématiquement le nez.

Ce soir là, alors que nous traversons le pont, dans l'obscurité à peine allégée par les réverbères du côté clean de la ville, j'aperçois une forme imposante qui gesticule sur la pente abrupte de la tranchée. C'est un gros ivrogne qui est au fond des ordures ; il tente de remonter et glisse sans arrêt sur la terre mélangée de sable. Il émet de pénibles grognements.

Je m'élance vers lui, rapidement suivi par Charles M.. Je veux lui tendre la main, mais pour ça il me faut descendre le long de la pente glissante et pentue. Je m'exécute, pas très rassuré, et allonge mon bras. L'ivrogne l'attrape, et tire de toutes ses forces pour remonter. Je manque de tomber avec lui, mais m'accroche à la pente, puis remonte. L'ivrogne semble un peu paniqué, mais comprend ce que je veux de lui. Il est très lourd. Je rassemble mes forces et me jette en haut de la pente, remontant l'homme d'un coup. Celui-ci s'effondre par terre, à bout de souffle.

Il commence à nous dire quelques mots en mongol. Il a l'air sorti d'affaire et j'imagine qu'il vaut mieux pour lui être secouru par nous que subir la honte d'être sorti du gouffre par des gens qu'il connaît. Nous partons.

Départ en train
Nous revenons à la gare d'Ulan Bataar, pour nos dernières heures en Mongolie. C'est un train différent qui nous attend, dont seulement un wagon passera la frontière russe ! Un gros paquet de Blancs attend donc devant ce wagon, qui est bien sûr le nôtre. C'est une provodnitsa russe (responsable de wagon), bien caractéristique de l'image qu'on peut se faire du Transsibérien, qui nous accueille avec un visage de porte de prison. Adieu la Mongolie !

Le quartier des gers

Des immeubles typiques du style soviétique

Dans la steppe (3/3) Echec cuisant

5 mai

Nous nous réveillons très tôt car nous savons que nous devons faire une marche avec notre hôte jusqu'à un monastère qui a servi de décor pour un film. Nous allons faire notre habituelle toilette de chat, montrons que nous sommes réveillés : personne ne réagit. On nous apporte un maigre petit-déjeuner dans notre yourte. Affamés nous complètons avec nos Mars.

Toujours aucune trace de notre hôte. Le temps passe... Nous nous disons qu'il est peut-être allé soigner son cheval blessé et que nous ferons la balade un peu plus tard. Nous nous ennuyons mais n'osons pas nous éloigner du campement au cas où notre hôte arrive.

Nous passons la matinée à attendre, de plus en plus énervés. Nous sommes des fantômes, et à part la petite fille qui nous égaye un peu, les autres membres de la famille ne semblent même pas remarquer notre présence. On finit par nous faire déjeuner à toute vitesse à 11h, alors que nous n'avons évidemment pas faim. Le monsieur en jeep, celui qui nous avait déposé dans notre première famille, est arrivé. A 11h20 nous sommes dans sa voiture, fonçant à travers la steppe vers notre arrêt de bus.

Dans le bus qui cahote dans tous les sens, nous sommes dégoûtés. La troisième journée d'excursion se sera résumée à une longue attente. Les bons souvenirs de la veille ne suffisent pas à nous calmer. Nous avons à l'évidence fait un effort budgétaire qui n'en valait pas la peine. Les familles ont certes bétail à gérer, mais elles sont très bien indemnisées et ont été formées à s'occuper des touristes. Nous sommes scandalisés par leur manque total de considération. A part lors de notre balade à cheval, les êtres qui auront montré le plus d'intérêt pour nous ont été une petite fille, un chat et un poulain !

Dans la steppe (2/3) Aglaé et Charly, rois du désert !

4 mai

Nous nous réveillons un peu contrariés et inquiets. Nous faisons une toilette de chat près d'un bidon rempli d'eau : évidemment il n'y a pas de douche dans une yourte. Par contre, il y a des panneaux solaires pour produire un peu d'électricité... afin de faire marcher la télé (et une ampoule). Notre voyage a été l'occasion de constater qu'il y a toujours une télé partout, même dans les endroits les plus paumés et les plus pauvres.

Nous avalons une espèce de bouillie de riz sucrée pour le petit-déjeuner et partons tous de suite à dos de nos chameaux à fourrure. Les membres de la famille réaparaissent juste pour nous dire "au revoir". Nous nous dirigeons vers une chaine de petites montagnes caillouteuses au loin.

Notre guide chantonne très agréablement, nous passons près de gigantesque troupeaux gardés par des hommes à cheval ou à moto. La lumière est sublime et l'herbe rase prend des couleurs étranges: vert, jaune, marron ou orange. Notre bonne humeur revient instantanément devant un si beau paysage.

Au bout d'un long trajet, nous arrivons à un tas de roches recouvert d'écharpes bleues turquoises. C'est apparamment non seulement un lieu sacré mais aussi un point de rencontre pour les nomades. Nous y voyons au moins trois personnes de familles différentes réunies. Quelle foule!


Cette halte nous permet de reposer nos genoux, toujours mis à rude épreuve. La balade reprend, cette fois en longeant les montagnes de roches escarpées. Nous atteignons notre prochaine famille d'accueil à l'heure du déjeuner.

Nouvelles présentations, il y a surtout des femmes et des enfants. Très vite, on ne fait guère attention à nous. Le repas est à nouveau très bon. Il est évident que les familles font des efforts pour leurs hôtes en cuisinant avec des légumes (il n'y a que du mouton et du lait dans la cuisine traditionnelle mongole) et en nous proposant des sachets de thé noir (à la place du thé au lait salé).

Nous croisons d'autres Français ; ils voyagent avec Terre d'Aventure et ont dormi là la veille. On se demande alors en quoi les tours proposés par Ger to Ger en immersion sont différents des autres. Surtout que nous sommes cette fois logés dans une "yourte d'amis", construite exprès pour les touristes. Nous nous sentons à nouveau un peu mal à l'aise et décidons d'aller faire un sieste au lieu de râler.


Le maître de la famille vient nous chercher pour la balade à cheval prévue pour l'après-midi. Il est très gentil et semble vraiment content de nous voir. Il nous aide à monter en selle et part au trot dans la steppe en faisant signe de le suivre. Heureusement pour nous qu'on a déjà un peu fait de cheval !

Le sentiment de trotter dans la grande steppe et de pouvoir guider librement sa monture est incroyable (notre guide tenait nos rênes pour les chameaux). Nous oublions instantanément les déceptions de la veille et les craintes de ce midi. Charly peine un peu avec son cheval qui obéit moins bien que le mien (enfin, c'est peut-être la faute du cavalier?).
Notre hôte nous fait signe de l'aider à rassembler son troupeau de mouton. Charly et moi partons donc chacun au trot de notre côté pour ramener les moutons trop aventureux. C'est super marrant, nous sommes aux anges!

Une fois notre tâche de bergers accomplie, nous partons en direction de magnifiques dunes de sables. Au milieu, un petit lac bleu-ciel au bord duquel nous descendons de nos montures. C'est superbe, on se croirait dans le Sahara ! Charly est tellement content qu'il manque de se rouler dans le sable.


Sur le chemin du retour, nous passons près du troupeau de cheval de notre hôte. On aperçoit rapidement une jument coincée dans une flaque de boue ; un petit poulain attend sur le bord d'un air malheureux. Nous nous arrêtons, notre hôte me donne la garde de nos trois chevaux et il entreprend de sortir de l'eau le cheval blessé. Charly va l'aider. C'est une entreprise difficile car le cheval est tellement faible qu'il ne tient plus sur ses jambes. Il tremble violemment de froid.
Un autre monsieur arrive à la rescousse (mais d'où sort-il, il n'y a aucune yourte en vue?).

L'homme me confie ses deux chevaux. Ceux-ci sentent vite mon inexpérience et commencent à se faire la belle. Je m'accroche de toutes mes forces à la longe et manque de me faire traîner par terre. A mes cris effrayés (mais comment dit-on "au secours" en mongol?), il vient me tirer de cette délicate situation.

Une fois la jument sauvée des eaux, son poulain affamé se précipite pour la têter, mais il est repoussé. L'autre monsieur les emmène tous les deux avec lui pendant que nous rentrons de notre côté.

Le retour est aussi beau que l'aller, moins les cris de détresses que poussent mes genoux endoloris. A notre arrivée, un bébé chameau maladroit et visblement égaré s'est approché de nos yourtes. Nos chevaux, qui ne connaissent pas cette bête, sont morts de peur et nous les retenons à grand-peine.


Pour la petite histoire, le bébé chameau retrouvera sa maman chameau. Après un concert de cris étranges, ils disparaîtrons tous deux dans le soleil couchant, sous nos yeux émus.

Dans la famille qui nous accueille, il y a une petite fille de 4-5 ans. Elle s'est précipitée sur nous dès notre arrivée. A notre retour de balade, elle joue avec un bébé chèvre qui la suit partout. Dès qu'elle comprend qu'on la trouve trop mignonne, elle ne nous lâche plus d'une semelle pour qu'on joue avec elle. Ce qu'on fait avec plaisir.

Sa robe verte est couverte de poussière et de crottes séchée ; cette petite fille est par ailleurs la reine des grimaces. Elle passera la soirée à se jeter dans nos bras, à ne pas vouloir descendre des épaules de Charly et à nous courir après. Le meilleur moment restera une partie de cache-cache avec le petit poulain, qui nous poursuivait autour d'une yourte. Grâce à elle, nous passons une super soirée!



Après un gros bisous baveux, la petite va faire dodo. Nous dînons avec notre hôte et partons nous coucher dans notre petite yourte. Il y a des milliers d'étoiles dans le ciel, mais l'air devient devient vite glacial. Nous nous endormons absolument ravis de cette journée.

Dans la steppe (1/3) Un début mi-figue, mi-raisin

3 mai

Nous sommes super motivés pour notre excursion de trois jours dans la steppe. Nous avons bien compris toutes les règles de circulation dans une yourte, les gestes à ne pas faire pour ne pas attirer le mauvais oeil et nous nous sommes appliqués à essayer de prononcer la langue mongole - ce qui n'est pas une mince affaire. Pour ces trois jours qui sont le seul tour organisé que nous nous permettons du voyage, nous avons mis beaucoup plus de sous que d'habitude.

A Ulan Bator, nous avons même été entraînés (de force) à supporter le manque de confort qui nous attend : par un soir glacial et alors que je prenais tranquillement une douche déjà juste tiède, tout à coup la lumière s'éteint. Alors que je suis couverte de la tête aux pieds de savon et de shampoing, l'eau devient instantanément glaciale. Je suis bien obligée de me rincer mais j'ai si froid et je tremble tellement que j'ai du mal à contrôler mes gestes. Charly, alerté par mes cris mais plongé dans l'obscurité complète, mettra un certain temps à venir me chercher avec une lampe de poche.

Nous nous sentons donc fin prêts et sommes très impatients !

Nous préparons nos sacs en veillant à prendre des Snickers et des Mars - pour palier à la nourriture mongole réputée pas très bonne- et à ne pas oublier nos sacs de couchages pour ne pas mourir de froid la nuit.

Nous partons à l'aube. Un peu endormis nous faisons l'expérience des taxis en Mongolie. En fait il n'y en a pas, chaque voiture qui passe est potentiellement un taxi qu'on peut héler. Une grande confiance règne et des gens en voiture en déposent d'autres contre une somme modique. Nous attendons deux secondes immobiles sur le trottoir de la grande rue de la ville et la première voiture qui arrive s'arrête. Le chauffeur n'a pas l'air d'un psychopathe. Nous lui montrons le lieu d'où part le bus (écrit en mongol) et lui proposons le prix que nous a conseillé l'agence. Il accepte.

Il conduit à toute vitesse et sa voiture est tellement vieille qu'on a l'impression qu'une roue ou une porte va se décrocher à chaque nid-de-poule. Nous arrivons heureusement sans problèmes devant une station-service qui sert aussi de gare routière. L'agence a pris les billets de bus pour nous, c'est plus simple que d'habitude!

Le bus sort rapidement d'Ulan-Bator. Il est rempli de Mongols étonnés de nous voir mais trop timides pour nous regarder avec insistance (ça change des Chinois!). La route est au début goudronnée, ce qui génère chez nous un espoir naïf. Espoir déçu au bout d'une vingtaine de kilomètres, quand la route se transforme en un tas de graviers laissant penser qu'il y a des travaux et qu'un jour elle continuera. En attendant ce jour heureux, les bus empruntent des pistes défoncées et presque invisibles dans la steppe, routes qui longent la route en travaux. Ca secoue dans tous les sens, le tout agrémenté de clip diffusés à la télévision. Le rap mongol, style "Ouais, gros, viens dans ma yourte!" nous fait bien rire. Par contre la pop mongole interprétée par des chanteuses au look de poufs russes nous saoule rapidement.

Par la fenêtre, c'est la steppe jaune-verte à perte de vue. Au pied des collines on voit de temps à autre des yourtes. On traverse même des espèces de villages avec maisons en bois le long de l'unique rue, style Far-West.
La pause-pipi est une familiarisation brutale avec l'impudeur mongole. Pourtant, après la Chine on pensait être blindés. Dans la steppe, il n'y a pas de buissons pour se cacher, soit. Mais les gens ne prennent même pas la peine de s'éloigner et s'accroupissent non loin du bus, vaguement cachés par leurs grands vêtements amples. Le pire, c'est que nul ne semble connaître l'existence du papier toilettes. Nous réévaluons alors l'hygiène des Chinois qui au moins en avaient toujours sur eux.

Après 6 heures de trajet, nous arrivons au lieu indiqué par l'agence, et sommes récupérés par un homme en jeep qui nous dépose dans notre première famille d'accueil. La voiture file à travers la steppe sur une piste parfois invisible. Nous sommes au milieu de nulle part et pourtant, nous finissons par déboucher sur deux yourtes jouxtant un enclos pour les animaux : c'est notre maison pour la nuit !


Nous faisons la connaissance de la famille: le père, la mère, leur fille et son mari, et leur plus jeune fils, qui va encore à l'école. Leurs deux autres fils font leurs études loin d'ici. Nous réussissons à articuler "bonjour!" en mongol et veillons à entrer dans la yourte dans le bon ordre, puis à aller vers la gauche et surtout pas vers la droite, à ne pas nous assoir dos à l'autel, à laisser Charly près du maître de maison, etc. Nous sommes un peu intimidés.

Au début, la famille fait beaucoup d'efforts. On nous offre le traditionnel thé au lait salé de bienvenue. Il faut absolument tout boire d'un trait avant de reposer sa tasse. Certains connaissent mon amour démesuré pour les laitages... mais je passe l'épreuve. Nous utilisons les quelques mots de mongol que nous savons, montrons des photos de nos familles. Ils nous montrent les leurs.
Le repas est à notre grande surprise bon : des pâtes sautées au mouton et aux légumes, cuisinées sur le grand foyer au centre de la yourte. La seule chose horrible ce sont les laitages : des "choses" ressemblent à des biscuits avec un trou au milieu mais s'avèrent être des fromages qui sèchent sur une ficelle accrochée aux poutres de la yourte, ou pire une espèce de bouillie mi-molle, mi-dure faite avec du lait et qui ressemble à du vomi. Heureusement, nous ne sommes pas obligés d'en manger ! Charles, comme d'habitude, semble s'en satisfaire.

A le repas, tout le monde disparaît très vite pour vaquer à ses occupations. Nous ne savons pas trop quoi faire, restons dans la yourte puis nous promenons un peu aux alentours. Finalement, le mari de la fille vient nous chercher afin que l'on fasse une promenade en chameau, comme prévu sur notre programme.
Les chameaux sont spectaculaires avec leur grosse fourrure. Ils sont en train de la perdre car l'été approche. Il faut s'accrocher car ça tangue beaucoup. Nous sommes contents comme des gamins !



Notre guide monte un tout petit cheval et sifflote, autour de nous les steppes se déroulent à l'infini. C'est magnifique ! Au bout d'un quart d'heure, nous arrivons à un point d'eau où sont rassemblés les animaux de la famille : une foule de moutons et de chèvres, mais aussi de jolis chevaux. Nous sommes au printemps et il y a beaucoup de bébés. Nous mettons pied à terre.



Après cette pause qui repose nos genoux endoloris, nous repartons. Il faut savoir que les Mongols montent chevaux et chameaux avec des étriers très courts, ce qui est très dur pour nos genoux non habitués. Nous regagnons notre campement au rythme chaloupé du pas des chameaux.

Je suis un peu étonnée car d'après le programme, nous devions aller jusqu'à un lieu de culte et la promenade devait être beaucoup plus longue. Charly, une fois descendu du chameau qui l'amusait beaucoup, commence à s'énerver. Toujours aucune trace du reste de la famille. Nous sommes posés là, près des yourtes avec l'impression de déranger. Le beau-fils nous fait signe que nous pouvons dormir si nous voulons ! Il est 16h.

Nous allons faire un grand tour pour nous changer les idées. La beauté du paysage me permet de garder ma bonne humeur, mais ça marche moins bien pour Charly. Nous finissons par nous assoir sur un rocher et par écrire. Nous sommes tristes que ça ne se passe pas comme nous l'imaginions.

Le soir tombe. Nous rentrons dans la yourte principale et faisons des dessins sur notre carnet pour pouvoir expliquer notre voyage à la famille qui nous accueille. Une chatte enceinte ronronne sur nos genoux. Nous nous disons que nous allons faire des efforts. C'est alors que la fille déboule avec des assiettes : c'est notre dîner que nous mangerons seuls. La famille mange dans l'autre yourte. Nous nous demandons si nous avons fait quelque chose qui les aurait vexé sans le vouloir. Mais non, nous avons bien respecté toutes les règles de politesse. D'ailleurs ils avaient l'air de s'en ficher.

La fille et son mari ne reviendront dans notre yourte que pour se coucher, sans un mot. Nous faisons de même, énervés pas leur indifférence pour des hôtes qu'ils ont acceptés d'accueillir afin d'obtenir un (très bon) revenu supplémentaire.

Nous nous endormons en espérant que demain, la deuxième famille s'occupera un peu de nous.

Ulan Bataar (2/2) : visite d'une ville coincée entre deux passés


1er mai - 2 mai

Notre première véritable journée est un peu gâchée par des problèmes pratiques : il nous faut à la fois trouver un tour organisé de trois jours dans les steppes, et réserver un billet de train pour aller en Russie.

Nous faisons donc le tour des agences de voyage toute la journée. Notre problématique se réduit vite à un choix entre deux agences. D'un côté, une agence classique nous fait payer un tour complet et un peu luxe, avec la location d'une Jeep, un guide-interprète, un chauffeur-cuisinier, un guide pour les tours en cheval, une famille d'accueil, etc : en gros, la facilité. De l'autre, l'agence Ger to ger ("de yourte en yourte") nous propose pour un prix légèrement inférieur un tour plus authentique : il s'agit de prendre des bus locaux indiqués par l'agence, et de se rendre sans interprète dans une famille hôte, avec laquelle il faudra apprendre à communiquer. Plus de partage, mais forcément plus de galères : le tour est précédé d'un cours express de langue mongole et d'instructions sur les coutumes mongoles à respecter (celles-ci sont très précises).

Outre le fait que le tour propose des promenades en cheval et en chameau dans des paysages variés, cette approche plus proche de la population locale correspond plus à notre voyage. Par ailleurs il s'agit d'une association qui reverse 80% de l'argent aux familles, dans un souci de tourisme équitable. Cette approche nous séduit, même si nous avions peur au départ que ce soit un concept creux.

Nous choisissons donc de bon coeur la difficulté !

Train train
Il nous faut aussi réserver ces satanés billets de train pour Irkoutsk. Nous retournons à la gare, et nous apercevons que j'ai un peu confondu les jours de départ des trains (à ma décharge c'est très complexe) lorsque j'ai fait le planning de notre passage en Mongolie. Nous ne pourrons pas prendre le train rapide, qui passe 3 jours après le départ prévu, mais sommes obligés de prendre le train lent, qui met 36h au lieu de 24h. La perspective de passer plus de temps dans le train et moins de temps à Irkoutsk ne réjouit pas vraiment Aglaé. Et ce que nous ne savons pas, c'est que ce train lent nous empêchera de voir le plus beau trajet du Transsibérien, les rives du lac Baïkal, qui se fera en pleine nuit !

Mais c'est une autre histoire...

Toujours est-il que la journée est foutue par toutes ces recherches et ces réservations : nous passons une soirée à discuter avec Charles, qui nous invite à manger des pâtes chez lui (il a accès à une cuisine). Il nous montre des photos de son incroyable voyage, des vidéos, nous fait écouter des extraits de son émission. Nous le quittons à regret, alors que lui s'engage dans un trek dans la steppe pour retrouver la trace d'une expédition française du XIIIe siècle... Cet homme est fou.

Visite d'Ulan Bataar, enfin
Deux jours après notre arrivée, nous avons enfin le temps de visiter la capitale mongole. L'architecture des temples bouddhiques est très particulière, empruntant parfois ses formes aux yourtes.


Surtout nous découvrons un peu plus les habits et les habitudes, tous deux assez spéciales, de ces chers Mongols. Il s'agit d'un peuple assez bourru, composé d'êtres gentils mais timides et un peu brutaux. Leur morphologie est l'exact inverse des Chinois : ils sont grands et épais, les femmes sont parfois énormes ; on imagine l'effroi que les soldats de Gengis Khan avaient dû inspirer aux peuples d'Asie qu'ils attaquaient.

Une atmosphère de petite ville du Mid West américain s'échappe d'Ulan Bataar : grandes avenues, jeeps et pick-ups sur les routes, soleil écrasant, grands hommes en chapeaux de cow-boys (grande mode là-bas), jeunes désoeuvrés. Nous sommes sous le charme de l'indolence générale.

Face au passé religieux et guerrier de la Mongolie (Gengis Khan, les nomades, le bouddhisme), un autre passé a planté une marque diamétralement opposée dans la capitale : la domination des Soviétiques jusque dans les années 1990. Outre les barres d'immeubles déjà évoquées, le centre historique de la ville est dominé par les imposants bâtiments inspirés du réalisme soviétique : statues à la gloire des libérateurs mongols du pays, gros bâtiments carrés à colonnes.


Les Mongols semblent peu attachés à ces témoignages d'une époque qu'ils haïssent : ils n'ont jamais été vraiment communistes, comme il n'y avait déjà pas de propriété avant l'arrivée des Russes. De plus, la répression politique a été parfois féroce et des moines ont été massacrés. Par ailleurs, la transition vers la démocratie s'est déroulée sans anicroche, chose rare pour les satellites soviétiques.

D'où une façon ludique de jouer avec cet héritage architectural : les barres ont été repeintes en couleurs vives, et la place du peuple devient un grand espace calme et aéré pour faire faire du roller aux enfants.

Malgré sa pauvreté, la Mongolie est un pays calme, très calme... Et Ulan Bataar une ville suprenamment délicieuse !

Ulan Bataar (1/2) : des yourtes sur des toits

30 avril - 1er mai

A notre arrivée, après avoir souhaité bon vent au couple allemand, nous avisons les rabatteurs présents à la descente du train. Pour la première fois de notre voyage, il s'agit de rabatteurs polis et aimables. En réalité, ce ne sont pas des rabatteurs, mais des membres de la famille des pensions de la ville.

Nous choisissons une guest-house dont le nom était dans le guide. Les femmes-rabatteurs nous disent quatre fois "bienvenue en Mongolie !" avant de nous emmener en voiture de la gare à l'hôtel : belle arrivée !

Une rencontre un peu difficile...
Dans la voiture, nous rencontrons un jeune Français, personnage qui a tout pour nous déplaire : petites chaussures bateau, air aristocrate, il se trimballe avec des milliers de valises, en voyageur mal organisé. Nous apprenons rapidement que, tout comme Aglaé, il est élève à Sciences-Po. Le type, qui nous dit rapidement qu'il fait un tour du monde pour une radio chrétienne, fait montre d'un mépris sans fin pour l'école et son master de journalisme. Bref, un type vaniteux et puant, qui plus est un cliché ambulant. Je décide de lui parler le moins possible, mais Aglaé et lui ont au moins une base de discussion.

Nous arrivons dans la pension. Sa localisation est typique d'Ulan Bataar : elle est sise dans une petite barre HLM, accessible par une vaste cour, mais pourtant elle est pile en centre ville. Car il y a deux types de logements à Ulan Bataar : soit vous habitez dans des barres sinistres datant de l'époque soviétique, barres qui ont été repeintes en couleurs joyeuses, et qui entourent des cours où jouent de nombreux enfants ; soit vous habitez dans une yourte du quartier pauvre. Belle alternative héritée des Russes !

La pension est particulièrement agréable : une petite cuisine accessible pour tout le monde, une ambiance familiale, un salon pour regarder des films... Les femmes qui gèrent la pension sont absolument adorables ; elles nous offrent un thé en attendant le retour de leur frère, manager de la pension. Tout en sirotant notre thé, nous discutons avec une jeune Française de la pension (décidément).

Il s'agit d'une roots pur jus : coiffure, vêtements, petit copain à dreadlocks, tout est assorti. Elle émerge à peine d'un voyage assez extraordinaire, puisqu'elle et son petit ami ont visité tous les pays en -stan, Ouzbékistan, Kazakhstan, Kirghizstan etc. Le problème, c'est que la jeune fille n'arrive pas à s'exprimer, n'arrive rien à exprimer. Elle bafouille, se reprend, "non mais tu vois, je veux dire, enfin, on était AVEC les gens". Blague à part, elle avait des choses passionnantes à dire sur les pays qu'elle avait traversés, mais il semblait qu'elle en parlait pour la première fois, et ne savait pas par où commencer. Aglaé et moi remarquerons par la suite la chose suivante : lors de voyage, nous avons bien fait de parler autant de ce que nous voyions, entre nous et via le blog, afin de conceptualiser un peu tout ça. Le pire aurait été de rentrer après 6 mois de voyage sans avoir aucun recul sur nos expériences !

Caca nerveux mongol
Le manager arrive. C'est un homme sec, contre lequel la Française roots nous a mis en garde : si on ne prend pas un tour organisé par lui, on n'existe pas. Il sera l'occasion d'une brouille idiote : nous lui demandons le prix des dortoirs ; il nous répond "6 dollars par personne par nuit". Nous faisons remarquer qu'il y a marqué "5 dollars" sur la carte de visite - comme nous allons rester longtemps, c'est un peu important, mais pas crucial, nous voulons juste savoir s'il n'y a pas moyen de négocier.

Le type s'énerve et rentre rapidement dans le mépris le plus condescendant : "mais si vous ne voulez pas de ce prix, allez ailleurs ! Ces cartes sont vieilles, c'est tout !". Nous essayons de le calmer, un peu surpris qu'il soit aussi pénible d'un coup, mais rien n'y fait. Il se braque de plus en plus. Alors que tout dans la pension nous plaît, et que cette différence de prix est absolument sans importance, le caractère du directeur de la pension nous pousse à fuir. Quel caractère ces Mongols !

Nous décidons de faire un tour de la ville pour voir si nous trouvons plus sympa au même prix.

Sauf que la ville est relativement grande, que les pensions ont l'air éloignées les unes des autres, et que nous ne voulons pas porter nos bagages sur tout le chemin. Or il apparaît un peu inconvenant de laisser nos bagages dans le hall de cette pension, dans la mesure où le manager sait bien que nous n'allons pas rester ici. Le Français insupportable de Science-Po, qui a assisté à toute la scène, penché sur son ordinateur à quelques mètres de nous, nous propose son aide avec une bienveillance qui m'étonne. Il a pris une grande chambre dans la pension, pour pouvoir y entreposer son coûteux matériel (il a une caméra, du matériel son, un téléphone-satellite et un ordinateur portable pour faire le montage de ses émissions radio). Il nous propose d'y entreposer nos affaires en attendant mieux. Il nous dit même que si nous ne trouvons rien, nous pourrons dormir par terre dans sa chambre si nous voulons.

En déposant nos bagages, nous discutons un peu plus avec cet étrange et très jeune homme (il n'a que 20 ans), et découvrons rapidement sous le vernis un peu repoussant, sous le cliché, un type apparemment original. En partant à la recherche de l'hôtel, nous nous promettons de creuser un peu la question à notre retour.

Une yourte en ville ?
Après avoir changé un peu d'argent chinois contre de l'argent mongol (les tögrögs, impossible à inventer), nous frappons aux portes des hôtels. Après trois pensions pleines ou vraiment chères, nous trouvons, dans le quartier des gers (nom mongol des yourtes), une petite pension bon marché et vraiment originale, qui propose de dormir dans des yourtes posées sur le toit du bâtiment. Nous acquiesçons, ravis !

Et c'est ainsi que pendant tout notre séjour en Mongolie, nous ne dormirons jamais que dans des yourtes.

Nos yourtes

Ulan Bator, alors ?
Nous n'avions absolument aucune idée de l'aspect que pouvait bien avoir la capitale de la Mongolie... Vous en avez une idée, vous ?

Eh bien ça ressemble à ça :

En vrai, Ulan Bataar est une ville très paisible, très agréable à vivre. De larges avenues où ne règne pas une circulation cataclysmique, entre lesquelles courent ces réseaux de larges barres soviétiques, heureusement pas plus hautes que cinq étages, qui forment des successions d'agréables cours piétonnes, où s'ébattent familles et enfants.

Au sein de ces cours, des magasins, de minuscules restaurants mongols : ça vit.

(mais qu'est-ce qui a foiré comme ça en France, pour que sur des bases égales les banlieues pauvres soient aussi miteuses ?)

Les yourtes dans lesquelles nous logeons sont des gers mongoles : nous découvrons que l'intérieur de ces tentes rondes blanches est beaucoup plus spacieux que nous le croyions. Il y règne une demi-obscurité fraîche qui contraste avec la difficile chaleur qui règne parfois en journée.

En parlant de temps, tiens, nous nous prenons rapidement après notre arrivée quelques gouttes de pluie, puis une petite tempête de sable nous attaque en pleine rue. Rien de bien méchant, mais il faut faire attention à marcher la tête baissée, les yeux mi-clos et la bouche fermée, pour éviter les mauvaises surprises.

Cependant, le temps redeviendra vite parfait les prochains jours. Typique du temps d'un pays aussi continental (la Mongolie est le pays le plus éloigné de la mer au monde), il fera très chaud la journée, et un froid de loup la nuit.

(oui parce qu'il y a des loups en Mongolie !)

Moment de détente entre gentlemen voyageurs
En récupérant nos bagages, nous avons pris rendez-vous pour dîner avec Charles, le jeune Français qui nous avait fait une mauvaise première impression. Nous échouons dans un restaurant recommandé par notre guide : c'est contre toute attente un établissement franco-italien très chic.

Charles et nous haussons les épaules : nous pouvons bien nous offrir ce moment de délicatesse européenne au milieu de ces steppes arides, non ?

S'ensuit un dîner dont je ne vais pas raconter toutes les discussions : il suffit de dire qu'il fut riche et passionnant. Charles se révèle être un personnage tout bonnement incroyable, une météorite dans le paysage des étudiants de Science-Po (et des étudiants tout court), capable de monter quinze projets à la fois. Il fait ce tour du monde, sur un programme confectionné par des personnalités voyageuses, à qui il a demandé de lui donner des idées de reportages à faire. Ainsi, un tel, cosmonaute, lui a recommandé d'aller là, un autre lui a proposé de faire un reportage sur les catholiques chinois du Yunnan, un dernier lui proposera de rencontrer les sorcières maputch du Chili.

Sans beaucoup de sous au départ, il est allé sonner comme un forcené à toutes les portes possibles, pour obtenir des financements. Le voilà donc obligé de faire des reportages sur les Postes des différents pays où il va, de filmer des usines pour un groupe minier, le tout pendant qu'il doit confectionner et enregistrer ses émissions, parfois intervenir à la radio en direct, par téléphone, le tout entrecoupé des périodes où il téléphone à des jeunes malades d'une association, afin de leur raconter où il passe et de leur redonner le sourire.

Homme de mille projets, sociopathe acharné, cynique naïf et plein d'humour, rêveur ambulant (il a réussi à réquisitionner un vieux biplan pour le départ de son tour du monde, puis à traverser le Pacifique sur un paquebot), Charles est intarissable, mais de la race des bavards qu'on veut écouter toute la nuit.

Nous découvrons aussi un homme seul, qui a tout tenté pour se faire accompagner par des collègues sur son projet, mais qui a été abandonné : il doit être très difficile de travailler avec un être aussi exigeant et compliqué.

Vous pouvez découvrir le site de son projet : http://www.partance-monde.org/. Un très beau site mais... le webmaster a abandonné Charles et le site est incomplet, et surtout pas à jour.

Nous prenons rendez-vous pour le lendemain soir, ravis de rencontrer un garçon aussi passionné et passionnant. Lui aussi semble heureux de notre compagnie : il a beaucoup voyagé seul, et n'apprécie pas énormément les jeunes un peu écervelés de sa pension (des Australiens un peu crétins et la roots un peu décalée).

Nous rentrons nous coucher sous notre yourte. Le lendemain nous faisons connaissance avec notre yourte-mate, un Américain qui parle un très bon français.

Surtout, au petit-déjéuner, pris dans la cuisine familiale, nous nous faisons une nouvelle et grande amie : le bébé chèvre adopté par la famille qui gère la pension. La chèvre, qui a une semaine à peine, passera le repas à tenter de téter les lacets de nos chaussures. Bien évidemment, nous sommmes à deux doigts de l'adopter !

A bord du Transmongolien : Beijing --> Ulan-Bator

29 - 30 avril
24 heures de train

Nous sommes enfin à bord de ce train mythique. Le "steward" de notre wagon est un jeune Chinois timide, parlant à peine anglais et surtout très gentil. Il nous conduit à notre cabine, prévue pour 4 personnes. Tout de suite, nous réalisons que nous sommes tombés sur le meilleur colocataire possible: un jeune Japonais. La nationalité japonaise est en effet une garantie de politesse et de discrétion. Il prend ce train d'un seul trait jusqu'à Moscou où il commence un grand tour d'Europe. Il sera très silencieux pendant tout le voyage.

A ma grande surprise, Charly-la marmotte ne tarde pas à s'endormir. Je sors dans le long couloir pour regarder le paysage par la fenêtre. Ce dernier est assez désolé, parfois traversé d'une route ou d'un pont en construction, ou parsemé de quelques usines crachant de la fumée d'une couleur peu engageante.

Un couple de jeunes Allemands fait de même non loin de là. Je fnis par oser leur parler. Ils viennent de travailler deux ans à Phnom Penh au Cambodge, elle dans une célèbre association pour les enfants des rues, lui au Tribunal International jugeant les crimes des Khmers Rouges. Il ont visité la Chine et rentrent en Europe en train. Ils retournent vivre à Hambourg, leur ville d'origine. Ils parlent un peu français et sont passionnants. Charly, que mon merveilleux accent anglais finit par tirer de son sommeil, se joint à nous.

Ils nous apprennent que notre ticket nous fait bénéficier d'un dîner gratuit au wagon-restaurant. Nous décidons de nous y rejoindre plus tard. Le paysage change et devient de plus en plus aride à mesure que nous approchons du désert de Gobi. Nous dînons tous les quatre, assez frugalement il faut bien le dire mais c'est bon. Le service décoiffe : on nous lance presque nos assiettes avec trois boulettes de viande dedans ; on nous les enlève dès que nos baguettes ont touché le dernier morceau. C'est très stressant!


Jörgen a en particulier beaucoup d'humour. Il tient absolument à ce que l'on goûte au vin rouge vendu au bar, nommée pompeusement "Great Wall" (Grande Muraille). Ce vin est absolument immonde mais ça n'empêche pas Jörgen d'en commander une deuxième bouteille. Comme il dit (en montrant son front): "The Great Wall wine, I don't know if it's great but I'm sure we will have the wall ! " Nous rigolons bien, surtout quand un membre du personnel du train, qui dîne un peu plus loin, commence à se mettre torse nu. Ah ces Chinois, quelle classe!

Le soleil se couche et nous approchons de la frontière. Nous y passerons de longues longues heures, car après les vérifications d'identités et les quelques formulaires d'usage, il faut aussi changer les roues du train. Les rails russes (et donc mongols) n'ont en effet pas la même largeur que les rails des autres pays - par peur des invasions !

Nous décidons alors de descendre sur le quai pour prendre un peu l'air. A notre grande angoisse, le train se met en branle et disparaît dans la nuit. Comme notre "steward" nous a autorisé à descendre, nous restons calmes. Après un quart d'heure d'attente un peu anxieuse, Le Beau Danube Bleu de Strauss est soudain diffusé à plein volumes par les hauts-parleurs du quai. Notre train sort alors de la brume et s'avance majestueusement vers nous. On se croirait dans un film !

Nous sautons à bord. Notre train s'ébranle à nouveau pour arriver dans un grand hangar où chaque wagon est soulevé de terre pour qu'on puisse changer ses roues. Nous regardons la fascinante opération par la fenêtre du train, bien au chaud. Ceux des passagers qui ne sont pas remontés assez vite patienteront une heure et demie dans la nuit glaciale, sans pouvoir assister à ce merveilleux spectacle !

Il est très tard quand le train reprend sa route. Nous sommes épuisés et filons enfin nous coucher. A notre réveil (tardif), nous nous rendons compte que nous avons manqué les dunes de sable du désert de Gobi. Nous sommes déjà au milieu des steppes. Le Japonais nous informe que le wagon restaurant a changé à la frontière ; après vérification il est maintenant en style mongol, tout en bois. C'est très... mignon !


Nous repérons les premières yourtes, les premiers troupeaux de moutons et de chevaux. Alors que nous déjeunons de nouilles instantanées (seul repas possible dans le train, grâce au samovar distribuant de l'eau bouillante), nous apercevons des immeubles et des usines. Pas de doute, nous arrivons à Ulan-Bator!


Sur le quai avec nos amis allemands
(et notre gros sac à provisons dans les mains de Charly)