Toutes les bonnes choses ont une fin. Se delasser avec des poissons sur une ile paradisiaque aux roches rondes sortant de l'eau tels des oiseaux de paradis peut parait-il devenir lassant : nous serions bien restes jusqu'a etre lasses.
En attendant, nous avions un avion a prendre le 20 fevrier, croute que croute, afin d'atteindre Singapour. Singapour, sa promesse d'un appartement confortable (la colocation d'Adeline), muni d'une machine a laver... Le reve, si proche et si lointain.
Nous montons le soir dans notre ferry de nuit, sous une pluie battante. Il est en direction de Surat Thani, ville plus proche de Phuket, d'ou part notre avion. Le ferry comporte trois etages : au sous-sol sont entreposes les bagages ; au premier etage, il y a une hauteur sous plafond de 1 metre 40, des matelas plutot confortables mais pas tres larges, des petits ventilateurs partout, bref un relatif confort ; entre les bagages et le premier etage, il y a une espece de mi-etage ou, sur des nattes de paille, sont entasses comme de la volaille un grand nombre de passagers : il y fait une temperature du fin fond des enfers, il y a moins d'un metre de hauteur, ce qui fait que tout le monde doit y ramper comme des chiens ; certains n'ont meme pas de vraie place numerotee et doivent rester assis, d'autres ont un pilier devant eux et ne peuvent pas s'allonger completement.
Nous avons achete notre place directement dans le bateau, une heure avant le depart, pour environ 10 euros chacun : nous sommes en haut avec les Thais, les meilleures places donc. Ceux qui sont en bas sont passes par une agence de voyage, et ont paye la plupart du temps 15 euros, ou plus, pour des places si pourries que les agences ont du les acheter 5 ou 6 euros aupres du bateau. Escrocs un jour, escrocs toujours.
Nous suspectons les conducteurs de tuk-tuk et les agents de voyage de chaque pays d'Asie d'appartenir a une federation internationale, qui se reunit regulierement et reflechit aux nouveaux moyens d'arnaquer et de pourrir et la vie des touristes, et l'image de leurs pays respectifs.
Le pauvre Josh est en bas, et nous le verrons peu du voyage. En effet il s'endort a peine le bateau parti. Entre le bruit et les gens qui vous marchent sur les pieds en allant aux toilettes, la nuit n'est pas des plus sereines, mais il faut s'y faire! Nous finissons par nous endormir, mais nous sommes reveilles assez tot, car le bateau a la bonne idee d'arriver en avance.
Il est 5h00 du matin et nous avons l'impression d'evoluer dans une melasse particulierement epaisse. L'habituel ballet des conducteurs de taxis et de gros tuk-tuk collectifs recommence, avec forces supplications de la part des chauffeurs: "montez dans mon taxi, par pitie". Nous petit-dejeunons sur ce quai desert d'une ville deserte : l'impression est douce et surreelle, au point que les Thais qui nous croisent pendant leur jogging quotidien bloquent un peu.
En marchant jusqu'a la gare routiere de Surat Thani, nous croisons une bonne trentaine de vieillards qui font leur gym tonic sur le quai, guides par une pretresse autoritaire. J'avais deja beaucoup vu dans les films asiatiques ces grands rassemblements de gymnastique urbaine, mais nous nous levions toujours trop tard pour en etre les temoins. C'est impressionnant !
Vous avez dit agence de voyage ?
Nous arrivons a la gare routiere, mais elle parait si endormie que nous commettons une grossiere erreur : nous achetons un ticket a la premiere femme qui nous propose un mini-bus. Les prix sont les vrais, donc nous ne nous mefions pas. Nous devons deja patienter une heure avant l'heure supposee d'arrivee du bus. Au bout d'une bonne heure, toujours rien. Je demande ou est le bus, avec de plus en plus d'insistance. On finit par nous faire traverser la gare. De l'autre cote du marche qui en constitue le coeur, une trentaine de bus dement l'endormissement de l'endroit ou nous nous trouvions. On nous jette dans un mini-bus, ou nous trouvons nos futurs compagnons de galere : un jeune Francais rigolard et pas stresse (pour une fois), une jeune Espagnole aux traits tires et un Anglais d'un certain age.
Une fois dans le mini-bus, notre mauvais pressentiment se confirme : le Francais nous explique qu'ils viennent de Bangkok, et qu'ils ont ete trimballes de bus en bus toute la nuit, devant en changer sans arret, avec de la nourriture soit-disant deja payee qui n'etait plus gratuite, des mini-bus inconfortables etc. En tout ils mettrons 17 heures a atteindre Phuket, alors qu'un bus local met 11h. Ils sont a bouts de nerfs, surtout l'Espagnole, d'autant plus qu'ils ont allonge une grande quantite d'argent. Escrocs un jour, escrocs toujours.
Escrocs toujours, adage qui se verifie instantanement. Apres avoir passe 10 minutes a caler tous les bagages dans le van, le chauffeur nous fait faire 300 metres, puis nous arrete devant une autre agence de voyage : tout le monde doit descendre, nous allons attendre un autre van. Les autres passagers sont effondres, nous assez enerves. La gare routiere est encore tres proche, avec ses bus geres de maniere convenable, mais nous doutons de la possibilite de nous faire rembourser notre ticket aupres de la grosse matrone qui nous l'a vendu. Et surtout, on serait bien emmerdes si, en allant nous plaindre a la gare routiere, notre van passait et partait sans nous!
Perdre la face ?
Un peu echauffes, mais decides a rester calmes, nous demandons aux employes de l'agence, ou attendent l'air morne une dizaine de touristes arnaques, certains depuis quelques heures deja, nous demandons donc aux employes, quand va vraiment partir notre bus. Quasiment tous font mine qu'ils ne savent pas parler anglais (mon c...), finalement un grand epais semble bredouiller de l'anglais. Aglae lui montre notre ticket fermement : "When is our bus ? on our ticket it's written 7h30 ! you have to tell me !". Le type dit qu'il ne sait pas, tres stresse. Aglae insiste calmement mais toujours aussi fermement.
La, le type reagit de maniere completement hysterique. Alors que personne ne parlait vraiment fort, il se met a pousser des glapissements, qui tres vite se transforment en hurlements. Il tonne "I don't know, me no boss, me employee, no driver, I don't know, no driver !". Je vous livre pele-mele un discours qui fut en realite fort entrecoupe d'interjections thais et de gloubiglouba vaguement anglais. Au debut nous tentons de lui parler et d'obtenir nos reponses, mais tres rapidement il apparait que le type ne joue peut-etre pas, et qu'il est reellement hysterique.
Nous tentons de le calmer. A quelques metres, le Francais rigolard le regarde en souriant : "peace, man!". Et la, nous trouvons la solution ultime, celle qui fait ouvrir toutes les portes dans un pays ou perdre la face est l'horreur absolue : nous nous foutons de sa gueule ! Grand sourire de ma part, bientot suivi par Aglae, nous le regardons en riant a moitie et en parlant francais : "eh calme toi, mec, t'es tout rouge, la, tu vas faire une crise cardiaque". La ou un Francais se serait encore plus enerve, notre type se calme d'un coup, et va se terrer au fond du magasin, humilie.
Dix minutes apres, et alors que je m'appretais a repartir vers la gare routiere et tenter le remboursement du billet, le fou hysterique, celui-la meme qui nous avait repete "I am no driver" nous annonce qu'il est conducteur de van, et que c'est lui qui nous amenera a Phuket. Il est absolument calme, souriant, rigolard; on ne percoit meme pas l'ombre du type qui bondissait en vociferant dans son agence de voyage. Nous sommes une dizaine a monter dans le van, qui nous attendait (depuis combien de temps ?) juste derriere la maison : le Francais, l'Espagnole, le vieil homme, et 6 tres jeunes Anglais, probablement de 18-19 ans, d'une gentillesse etonnante.
(petit detour par la case linguistique : j'ai beau parler un plutot bon anglais, et surtout plutot bien le comprendre, j'avoue que capter ce que peuvent raconter de jeunes Anglais de province est une tache bien au-dessus de mes capacites : s'ils comprennent ce que l'on dit, leur patois semble etre une autre langue, a part)
Derniere etape thai
Le trajet avec Dr. Jekyll est plutot rapide. Il conduit vite mais bien, et nos craintes qu'il se comporte en voiture comme dans la vie sont vite effacees. Au bout de 4 heures nous arrivons a Phuket, qui est une plutot grande ile : plus de 50 km de diametre, et nous ne verrons jamais un bout de plage. Enfin, quand je dis "nous arrivons a Phuket"... Notre destination etait Phuket Town, ou nous avions prevu de passer quelques heures a manger et a ecrire notre blog, avant de repartir vers l'aeroport. Au bord de ce qui ressemble a une autoroute tendance peripherique, notre type se gare devant une agence de voyage, et nous annonce fierement : "ok, you are in Phuket Town". Malaise. "euh no, we are not ! Go to the bus station, it's inside the city". Trois jolies jeunes femmes toutes appretees sortent de l'agence avec des "please", des "good morning" et des "can I Help you?" plein la bouche.
Bien decides a etre les-Francais-raleurs, nous declenchons un mini-scandale. Les hotesses sont plutot cooperatives, pas le chauffeur, qui est reparti pour une demi-crise d'hysterie. Bien entendu, nous pouvons prendre un taxi pour rejoindre le centre-ville ! nous disent-ils. Nous sommes aides dans notre scandale par le vieil anglais, qui a choisi une strategie pernicieuse, et qui fonctionnera a merveille : pendant les 4 heures du voyage il a discute, bavarde, fait copain-copain avec le conducteur du mini-van, qui se plaint en permanence que les touristes sont insupportables (etonnant qu'ils ralent quand on tente tous les jours de les arnaquer). Pris entre notre colere froide et la gentillesse amadouante du vieil homme, le chauffeur craque, et nous amene a la station de bus. Nouvelle victoire, d'autant plus importante qu'a peine le van redemarre, nous apercevons un panneau indicateur : "Phuket Town, 5km" !
Les jeunes Anglais, pas tres debrouillards, nous remercient et s'en vont. Le chauffeur, apres avoir rale tout seul pendant 15 minutes, repart tout content : il a negocie des dollars supplementaires pour amener les 3 passagers restants jusqu'a une autre plage.
Pou-couette, internette
Phuket Town est une petite ville tres developpee, avec beaucoup de commerces tenus par des Chinois, descendants des colons commercants venus de Chine au XVIIIe siecle, mais ne presente pas un interet fou. L'essentiel sera de se tenir loin du soleil d'une violence rare, d'envoyer 27 cartes postales, de manger et d'ecrire sur notre blog.
A ce titre, les cyber-cafes en Asie comme celui ou nous sommes alles a Phuket, en tout cas ceux ou se retrouvent les locaux, sont generalement baignes dans une ambiance delirante. S'y retrouvent des dizaines d'adolescents coleriques, autour de jeux en reseau. Et qu'on se trouve au Laos, au Cambodge, en Thailande ou au Vietnam, ce sont partout les memes hurlements dechaines, les memes cris de joie ou de fureur, les memes roulades par terre. Hier encore, a Hanoi, un jeune garcon dement tentait de reparer sa souris deficiente en la frappant de toutes ses forces sur la table, produisant des craquements terrifiants : la gerante du cyber, casque sur les oreilles, jouait aussi a des jeux en reseau et n'a pas le moins du monde reagi a ces destructions de materiel. En tout cas impossible d'y trouver beaucoup de paix, sans parler des garcons curieux qui viennent lire nos mails par-dessus notre epaule (ils n'y comprennent bien sur rien, mais ca les passionne).
Retour a la civilisation
Apres un bus interminable, nous rejoignons l'aeroport de Phuket, et nous envolons vers Singapour. Changement d'ambiance : le metro etant ferme, nous prenons un taxi. Nous nous attendons a etre arnaques, depouilles, nous anticipons les detours infames, les surtaxes inattendues, les compteurs trafiques. Tu parles ! La course ne coute quasiment rien et surtout le chauffeur s'improvise guide de Singapour : tout le long du chemin il nous detaille le fonctionnement de l'immobilier dans l'ile ("les Singapouriens ont droit a des HLM dans cette partie de la ville"), et les trucs et astuces culinaires ("si vous voulez manger pas cher c'est la, par contre ici c'est plus cher mais meilleur"). Il s'excusera meme de la brievete de la course: il aurait aime nous donner plus d'informations sur sa ville!
Plus fou encore : cette gentillesse etait purement gratuite : il nous depose devant chez Adeline mais n'attend rien, ne nous poursuit pas pour que nous fassions appel a lui le lendemain... et nous dit meme de prendre le metro, pas cher et tres propre! Fou.
Nous faisons nos retrouvailles avec Adeline. Elle habite dans un condominium grand luxe, piscine a l'appui, un peu comme Benjamin et Marie a Bangkok. Nous nous jetons dans ses bras et dans la douche : cela fait bien 36 heures que nous ne nous sommes pas douches, alors que nous nous sommes baignes dans la mer entretemps. La douche, un peu chaude, est un delice de luxe. Mieux, nous serrons dans nos bras la machine a laver : cela fait deux jours qu'on survit avec les derniers slips propres retrouves au fond du sac - quand aux T-shirts, ils ont durci tellement ils sont crados.
Autant vous dire qu'on a bien dormi.
"les derniers slips propres retrouves au fond du sac - quand aux T-shirts, ils ont durci tellement ils sont crados"
RépondreSupprimergénial ! as tu enfin découvert le troisième coté du slip ? celui que tu découvres de l'autre coté après avoir porté ton slip dans l'autre sens ? paraitrait qu'il y aurait meme un 4e coté caché quelque part, j'avoue ne l'avoir pas encore découvert...