mardi 24 mars 2009

Reconstruction la suite

5-6 mars

Hanoi est une ville étonnante. Impossible de ne pas sentir la ressemblance avec une ville européenne : l'atmosphère froide, gris du ciel et poisse des rues mouillées évoque Paris ; les couleurs des bâtiments coloniaux, jaunes et oranges, entourés de petites cours carréees, et qu'on découvre au hasard d'un détour ; les grandes avenues autour des petites rues qui évoquent Haussman ; les regards mornes, un peu figés, les pulls, les habits noirs et gris ; les artisans courbés en deux sur leurs établis, en silence.

Et pourtant, pourtant, derrière toutes les couches européennes, qui tenaient aussi à l'atmosphère hivernale dans laquelle nous nous trouvions, il y a quelque chose d'indestructiblement asiatique dans Hanoi. Petites boutiques entassées les unes sur les autres, cris des marchands, engueulades permanentes, pullulement des motos et surtout l'infinie variété de bouis-bouis sales, offrant dès l'entrée leur mini-cuisine fumante - brioches chinoises à la vapeur, soupes de nouilles prises à même la rue sur des chaises d'enfants, bun bo et bun nem (nouilles aux boeuf ou aux nems).

Enfin, quelque chose typiquement Vietnam du Nord émaillera sans arrêt notre visite : longues hésitations lorsqu'on demande les prix (non, 3 euros le café pris dans un bouge infâme, même à Paris c'est beaucoup), regards un peu méprisants : rien ne semble vraiment sauver les gens d'Hanoi par rapport aux Vietnamiens des autres villes que nous avons visités.

Parmi la liste des choses un peu absurdes du voyage, nous craquons pour une représentation de théâtre de marionnettes sur l'eau. Spécialité vietnamienne, il s'agit de marionnettes qui gesticulent à la surface d'un grand bassin. Elles sont animées par des gens qui, derrière des rideaux, les manient à l'aide de gros batons qui passent sous l'eau. Prouesse technique, résultant vraiment impressionnant. Quant au spectacle lui-même, il s'agit d'une suite de tableaux un peu naïfs, un peu champêtres (l'art des marionnettes sur l'eau a été initié par des paysans plongés dans des rizières), parfois drôles, parfois mignons, parfois soporifiques.

Enfin, nous visitons le Palais Présidentiel, gros bâtiment colonial plutôt charmant qui abritait les sommités du gouvernement colonial vietnamien, et la Pagode du Pilier Unique, reconstruite après la guerre du Vietnam, atroce petite pagode en béton, toute repeinte à neuf, entourée d'une horde de groupes organisée. Pour l'authencité et le cachet ancien, on préfèrera le Temple de la Littérature, * quasi-havre de paix au milieu du rugissement des motos de Hanoi (on les entends encore), très fin, aux proportions harmonieuses, qui semble comme un secret glissé dans les interstices d'un gros cri bruyant.

Stabilité enfin
Heureusement, nous nous sommes trouvés un QG pendant les 5 jours passés à Hanoi. Ou plutôt 2. Le premier est un adorable petit café-boulangerie, aux prix fixes et affichés - les mêmes pour les Viets et les Européens. On y prendra nos petits-déjeuners (petits cafés noirs, beignets aux graines de sésame), nos déjeuners (sublimes nouilles aux boeufs, dans une sauce bien huileuse, plus aventureux beignets aux oeufs de caille), et à peu près tous nos desserts. Les vendeuses sont drôles et sympathiques, et égrènent quelques rares mots anglais, qui font écho à mes progrès misérables en vietnamien.

Je n'oublierai jamais de mon existence le goût doux et épais de ce dessert si spécial, dont le nom vietnamien m'échappe : la vendeuse, celle avec ce sourire si doux, prend une espèce de nem de banane, le fait griller, le coupe en plusieurs morceaux, qu'elle jette dans un verre. Elle recouvre le tout d'une grande louche d'un sirop de coco chaud, dans lequel nagent des petits grains de tapioca et de gros morceaux de coco mous. Une caresse pour le palais, un défi pour l'estomac.

Deuxième QG, autre ambiance : le petit cybercafé à côté de notre hôtel. Ce cyber, dont j'avais brièvement parlé dans un message sur Phuket, est peut-être le cybercafé le plus délirant de tous ceux que nous avons fréquenté. Et nous en avons fréquenté, ce blog en est la preuve : il est d'ailleurs vrai que les épisodes de lessive à la main et les passages dans les cybercafés constituent les seuls véritables éléments de quotidien de notre voyage : alors que tout change sans cesse autour de nous, laver nos affaires sales et donner de nos nouvelles ici constitueront toujours les repères stables et rassurants.

Ce cybercafé, qui nous permettra de rattraper sensiblement le retard de notre blog (nous irons souvent, et longtemps, n'ayant pas non plus grand-chose à faire à Hanoi), est hanté par une horde hétéroclite de jeunes fous. Certains sont encore des enfants, d'autres sont quasiment des adultes - tous fument clopes sur clopes, et la plupart se fendent de coiffures ahurissantes et de teintures étonnantes (non, les Asiatiques n'ont pas les cheveux rouges naturellement). Leur point commun est de se retrouver dans ce cyber, pour passer de longues heures à jouer - jouer, mais aussi hurler, gesticuler, pleurer.

Pendant que leurs avatars informatiques s'entretuent à coups de couteaux et de mitraillettes sur les écrans, eux passent par des états de surexcitation qui font passer l'Angry German Kid de Youtube pour un enfant de choeur sous Xanax. Parfois, des êtres plus doux nous étonnent en jouant à des jeux de danse, mais en y mettant la même frénésie guerrière que s'il s'agissait de gagner une guerre. Notre souvenir le plus marquant sera celui du Vietnamien assez fou pour jeter avec fracas sa souris qui ne fonctionnait pas. Pendant ce temps, nos tympas souffrent en silence.

Plus étonnant que tout, la gérante de ce cybercafé est une gameuse encore plus hardcore que ses clients. C'est bien simple, elle semble plus gérer le cyber entre ses parties que jouer aux jeux en réseau entre ses moments de travail. Quand on rentre dans le cyber, il faut donc d'abord la trouver (nombre d'autres touristes étrangers nous ont demandé à qui s'adresser pour obtenir un poste), puis la distraire de son jeu, ce qui peut être TRES long. Invariablement, elle se retourne excédée, et nous envoie vers un poste libre, dégoûtée de devoir mettre sur pause pendant de longues secondes. Complètement autiste, cette gérante ne semble parler ni anglais, ni viet, ni rien. Elle communique par gestes énervés.

Un fonctionnaire bien sympathique
Peu avant de partir, mon ami NC m'avait indiqué que son parrain, PB, avait un poste de haut-fonctionnaire à Hanoi, et qu'il s'y embêtait à poings fermés. "Contacte-le, il se fera un plaisir de vous rencontrer là-bas, il est trop cool, ce mec". Ledit mec cool nous avait, deux jours avant notre départ, envoyé un mail d'une gentillesse exquise détaillant, avec détails et moults bons plans, une bonne partie des pays d'Asie du Sud-Est que nous allions traverser. Au-delà même de détails pratiques, PB nous avait confirmé dans l'idée que ce voyage allait être exceptionnel, et nous avait donné envie d'arriver encore plus vite au Laos, en Thailande et à Singapour.

Nous avions donc convenu, avec PB, de nous retrouver lors de notre passage à Hanoi. Etant donné nos déconvenues avec les visas chinois, je lui avais le jour de notre arrivée envoyé un mail assez désespéré, lui demandant s'il avait des informations. Il n'en avait pas vraiment, mais nous en avions profité pour nous retrouver le vendredi soir. Ce responsable de la Francophonie en Asie du Sud-Est, titre un peu ronflant et qui avait l'air de le passionner moyennement, nous donne donc rendez-vous au restaurant du Metropole de Hanoi, pour y boire un verre.

Autant dire que nous arrivons un peu honteux : le Metropole est peut-être l'endroit le plus colonialo-sublime de la ville, et à côté le Raffles de Singapour a l'air d'un McDonalds de Courbevoie ; quant à nous, nous sommes toujours habillés de nos éternelles guenilles, pantalons kakis à fermetures éclairs, pulls troués et T-shirts à la propreté douteuse. PB nous accueille en costume-cravate, nonchalant : son humour, la délicatesse et l'aisance de ses manières nous font rapidement oublier notre statut de gueux au milieu de l'élégance.

Le restaurant est une myriade de bougies, de lumières tamisées, de vieux ventilos coloniaux, de plantes pleines de style. Un piano rôde et projette sa stature classieuse, même si personne n'y joue. Les serveuses déambulent armées de longs gants noirs, ambiance Shanghai des années 30 - toute cette classe semble cracher sur nos vêtements poisseux.

PB est le condensé parfait du haut-fonctionnaire. Il est grandiose, d'une intelligence brillante, réparties ciselées, remarques passionnantes, culture aussi étendue que le territoire russe, il est drôle et nonchalant ; mais il est aussi blasé, ennuyé, peu passionné par les Vietnamiens au milieu desquels il vit, encore moins par son travail, un peu méprisant aussi parfois envers les Hanoiens (il faut l'admettre). Enfin il a la classe, et peut se permettre tous les travers qui vont avec.

Foin de descriptions : passer une soirée à discuter avec cet homme de goût nous plonge à nouveau dans une vie intellectuelle qui nous manquait. A part les discussions linguistiques avec Silvia au Laos, et les grandes échappées lyrico-culturelles d'Amar à Vizak en Inde, le niveau intellectuel des rencontres que nous avions pu faire était plutôt bas. Nous sommes donc ravis de cette soirée.

Last but not least
Enfin, il faut bien des bonnes nouvelles. Vendredi après-midi, la veille de notre départ prévu pour la Baie d'Along, nous croisons deux babas dans le hall de notre hôtel. Nous les entendons parler avec le sosie de Faye Wong (la gérante de l'hôtel) :
- Oh thank you so much ! But, you're a magician !

Ce concert de louanges me fait tourner la tête : tous deux tiennent et feuillettent deux passeports, et le sourire à leur visage me rappelle en négatif le désespoir sur le nôtre après l'ambassade de Chine : et s'ils étaient en train de récupérer leur visa chinois ?
Aglaé les poursuit alors qu'ils sortent dans la rue, et leur demande pourquoi ils étaient aussi heureux. Confirmation : ils sont passés par l'hôtel pour avoir leur visa chinois, refusé à l'Ambassade, et... ils l'ont eu !! Nous refusons de crier victoire, car on ne sait jamais, chaque cas est unique, mais nous reprenons enfin sacrément confiance !!!

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