vendredi 20 février 2009

Splendeur des temples, malaises et guides fainéants

Attention description d'une longue journee, longueur du message en consequence!
2 fevrier

Nous avions cru qu'Aglaé était guérie, vu que la veille la Miss avait marché son heure et quart sous le soleil, écrasée par son sac à dos, en mouftant mille fois moins que moi. Nous nous levons donc à l'aube pour rejoindre Delphine, Hubert et Anton, qui doivent nous retrouver en tuk-tuk au comptoir des billets pour la zone des temples d'Angkor.

Les vélos que l'on peut louer à Siem Reap ont une caractéristique commune, quelle que soit la pension où on les loue pour 1 ou 2 dollars : leurs freins sont lâches, leur direction hasardeuse, la selle rappelle les tourments de l'enfer, et leur construction date probablement de celle des temples d'Angkor. Autant dire que c'est un plaisir de les monter.

La billetterie d'Angkor Wat, qui donne accès à la trentaine de temples du secteur, est particulièrement bien organisée. Pas étonnant, étant donné 1) l'afflux de touristes 2) que la société (privée) qui s'en occupe, la Sokimex, empoche 15% de la gigantesque manne financière du truc, ne reversant que 10% à la société de conservation des temples (alors que la moitié des temples n'a pas encore été complètement restaurée), laissant 70% qui vont plus ou moins mystérieusement remplir les caisses du gouvernement cambodgien - quant aux 5% restants, allez savoir... Ne cherchez pas à savoir pourquoi c'est une société pétrolière qui s'occupe de l'organisation des temples d'Angkor (billetterie, contrôle, etc), personne ne le sait tout à fait.

Nous nous retrouvons rapidement en possession d'un joyeux pass avec nos visages pas réveillés en photo dessus, tout ça pour la modique somme de 40$ pour 3 jours, et retrouvons les Français et l'Italien. Nous faisons à l'occasion la connaissance du guide, un type au premier abord assez rigolo, avec un chapeau de cow-boy. Tres souriant, tout ca. Nous suivons le groupe avec nos velos, et nous les retrouvons devant Angkor Wat, le plus grand edifice religieux du monde (rien que ca).

Wat the fuck ?
Angkor Wat, gigantesque, opulent, monstrueux presque. Pour tous les details, se referer a Wikipedia. S'y pointer a 7 heures du matin, un peu fatigue, carrement pas bien en ce qui concerne Aglae, semble la maniere forte de commencer notre visite des temples de la zone. En Inde cette methode avait carrement marche, le jour de Noel, devant le Taj Mahal. Ici, les resultats sont carrement plus mitiges : le guide enchaine les blagues un peu vaseuses et les explications dans un desordre des plus chaotiques, et la magie a du mal a operer. Une des raisons est simple : au matin, ce temple qui donne vers l'ouest est a contre-jour du soleil levant, du coup les photos sont ratees et l'impression n'est pas aussi puissante qu'au coucher du soleil.

Alors oui, Angkor Wat est immense, et de loin on dirait un Versailles khmer, mais il a surtout une enceinte gigantesque. Ce qui le rend interessant, c'est son etat de conservation quasi-parfait : les delicats bas-reliefs de plusieurs centaines de metres semblent avoir ete sculptes hier, et leur richesse et leur profusion n'a pas fini d'etonner. Mais quant au temple lui-meme, son architecture, etc, difficile de se faire une opinion, car une fois devant on manque la vue d'ensemble. En bref, l'emerveillement attendu n'est pas la. Surtout chez Aglae, en proie a un malaise assez profond - elle sue, elle rougit, elle hennit, et son enthousiasme legendaire pour les vieilles pierres semble absent, ou bien se fait in petto. Autant dire que moi, celui qu'elle a convertit a la peinture et a l'architecture, celui qu'elle a traine partout, avec qui elle partage toujours des enthousiasmes puissants et communicatifs, autant dire que moi, donc, je me fais un sang d'encre.

Point de doute possible, Aglae est Angkor malade.

Quant au guide, il nous fait voir les bas-reliefs a un rythme de plus en plus accelere. La profusion d'explications se transforme vite en quelque chose qui ressemble a un compte-goutte, mais nous ne remarquons rien pour l'instant. La ou le bon guide fait aimer en montrant qu'il aime, le notre se contentera toute la journee de nombreux "voila regardez c'est magnifique".

Mystique Bayon
Je vous connais, petits incultes. Vous avez surement deja vu ca, et pourtant le nom du Bayon ne vous dit pas grand-chose. Eh bien sachez qu'il s'agit du second temple le plus visite de la zone. Comme vous le verrez sur la premiere photo de la page Wikipedia, de loin le temple evoque un vieux tas de ruines. Mais a l'inverse d'Angkor Wat qui decevait de pres et imposait de loin, une magie incroyable s'eleve au fur et a mesure que le visiteur monte les marches (toujours tres hautes dans cette region), et decouvre les fameux innombrables visages.

Il parait qu'ils ont tous une expression differente. Plus que ca, ils ont chacun un degre de delabrement different, ce qui donne une impression tellement... unique, oui c'est ca. Visages multiple, impression unique : il y a un moment ou, en haut du temples, ou que porte votre regard, 5 visages (tous sont des visages de Bouddha, ndrl) au moins vous regardent, avec un petit sourire fin - mais certains n'ont plus qu'un oeil, le haut du visage, ou bien ont perdu tout un profil. Et comme tous ces visages sont composes de plusieurs pierres, emerge sans arret l'impression d'etre dans une peinture cubisto-khmer. Delirant, troublant : le Bayon est sans doute possible mon temple prefere.

Quant a Aglae, sa "visite" ne lui aura pas permis de vraiment apprecie le chef-d'oeuvre artistique : lorsque le guide prendra une pause pour nous laisser nous promener dans le temple, elle s'assira a cote de lui pour souffler, et ne verra quasiment rien. Il faut aussi preciser qu'il est presque midi, et que la chaleur est absolument epouvantable. Passer de l'ombre a la lumiere devient une torture insupportable.

Cyclistes malgre tout
Aglae se sentant vraiment mal, c'est Hubert qui conduit son velo, m'accompagnant par la meme occasion jusqu'au prochain temple, alors qu'Aglae emprunte le tuk-tuk avec les autres. Se promener dans l'enceinte de cette ancienne cite gigantesque est assez magique : des routes confortables et bien tracees font comme une saignee dans une jungle absolument impenetrable, de laquelle emergent a intervalle regulier des temples, des bassins royaux, des tas de pierres indefinissables, et plus souvent encore des cars de Japonais.

Plus nombreux que les quelques singes apercus, qui d'ailleurs passent leur temps a chasser les chiens, les Japonais font une entree fracassante dans notre voyage. Alors que nous nous demandions ou ils etaient dans les pays precedents (c'est vrai, quoi, le tourisme sans touristes japonais, est-ce encore du tourisme?), la foule nippone, avec son cortege de gros bus, de gros appareils photos, de casquettes a visieres et de vetements des annees 80, rattrape son retard a Angkor. Au point que nous croisons sans arret des guides parlant japonais, qu'ils soient nippons ou Cambodgiens.

(je precise que la premiere phrase du paragraphe precedent, au sens un peu flottant, ne visait en aucun cas a faire de rapprochement delictueux entre nos amis les Japonais et nos ennemis les singes)

Nous ralentissons un poil, le temps que le guide nous montre la curieuse Terrasse des Elephants, et une statue de cheval a 5 tetes. Pour la troisieme fois au moins, je lui pose une question a laquelle il repond "good question", avant de botter la balle en touche avec une reponse incoherente. Je commence a sentir les limites du guide, quant a Aglae, elle ne sent plus grand chose.

Nous repartons avec Hubert derriere le tuk-tuk. Le guide, a l'interieur, semble vraiment courrouce que nous soyons en velo, et voudrait que la visite aille plus vite : il ira meme jusqu'a nous proposer de nous accrocher au vehicule, depuis nos velos (CMA: hautement dangereux et cassegueulisant, bien entendu). Il faudra le tact d'Aglae pour le calmer "if you want, you can take the bike instead of them", mais nous comprendrons le soir venu que tout ca n'etait que le revers d'une arnaque destinee a faire rentrer et le guide et le tuk-tuk plus tot a la maison. J'y reviendrai.

Apres un trajet toujours aussi enchanteur a l'ombre d'arbres gigantesques, nous arrivons devant le Ta Prohm, pour la pause dejeuner. Il faut savoir que depuis notre entree dans la zone d'Angkor, devant chaque temple se trouvent de 20 a 30 restaurants, petites paillottes separees par des bambous, proposant tous exactement le meme menu. La caracteristique commune des serveuses est la suivante : des qu'un touriste passe dans son champ de vision, la serveuse court vers lui en hurlant. Si c'est l'heure du dejeuner, elle tiendra un menu a la main, sinon ce sera un sachet d'ananas decoupe, ou une bouteille d'eau.

Conseil d'Etat, et ca repart
En arrivant devant les restaurants, nous constatons sans surprise que les prix sont delirants, en tout cas pour le niveau de vie du pays : des nouilles instantanees pour 4 dollars environ, soit environ 4 fois le prix habituel. Mais Hubert et Delphine nous font vite comprendre qu'il est largement possible de negocier. En effet, des qu'ils prononcent le mot "discount", tous les plats tombent a 2 dollars 50, pas etonnant vu la concurrence. Pendant ce temps, je fais semblant de ne pas etre tente, je cherche Anton qui a disparu aux toilettes et fais croire a la serveuse qu'a cote on m'a propose moins cher. Soudain, une serveuse fait un dernier geste desespere :

"ok ok, food and drinks, 2 dollars each person"

Sans que j'aie fait grand-chose, nous nous retrouvons avec des prix absolument delirants : on va pouvoir se gaver de noix de coco fraiches et de nouilles pour rien. Hubert, Delphine et Aglae me rejoignent, heberlues et surtout persuades que la negociation est a mon credit. Je sais que je n'ai pas fait grand-chose mais ils me tiennent deja pour un heros. Je mange mes nouilles en heros, et vais me jeter dans un hamac libre, don du Ciel de ce petit restaurant - le guide et le tuk-tuk sont alles manger de leur cote, et dorment deja.

Je commence a m'endormir, quand j'entends quelques echos inattendus de la part d'Aglae : Hubert et Delphine lui ont demande des explications sur son stage au Conseil d'Etat, et contre toute attente, la voila qui part dans de longs monologues explicatifs, veritable cours passionnant et passionne sur le fonctionnement d'une institution pas tres folichonne sur le papier. Je m'endors heureux, car Aglae semble avoir repris du poil de la bete. A mon reveil, je retrouve ma compagnon de voyage, moribonde il y a quelques minutes, avec un grand sourire et les yeux illumines : le miracle des institutions francaises a eu lieu, meme loin de Paris.

Tant pis pour Ta Prohm
Le dernier des 3 temples les plus celebres d'Angkor est le Ta Prohm. Si vous voyez les photos sur internet les plus insolents d'entre vous vont hurler "ah mais oui, bien sur, Tomb Raider, Indiana Jones". Avant d'etre ca, le Ta Prohm est un tres vaste complexe religieux, qui a ete envahi par la vegetation pendant 400 ans, vegetation qui n'a pas ete arrache pendant les premiers travaux de restauration : enlevez certains des arbres qui ont pousse a travers les murs, et le tout s'ecroulera.

Plus que le pourtant admirable travail architectural et sculptural des khmers, c'est la puissance artistique de la nature qu'on vient admirer ici. Dans ce temple ou il est facile de se perdre, ce sont les branches, les troncs, les lianes, qui font leur petit effet, et qui donnent, ne serait-ce que jusqu'a l'apparition du prochain groupe de Japonais, l'impression d'etre un decouvreur. Aglae, soudainement et inexplicablement reveillee, s'en donne a coeur joie. Elle pousse des petits hoquets d'emerveillements, et assaille le guide de questions, ce qu'elle n'avait pas eu la force de faire jusqu'alors. Celui-ci, de plus en plus faineant, s'est contente de deux ou trois "c'est beau, hein", nous donne le nom d'un des arbres qui a traverse les murs (tch'pong), et se terre dans un silence des plus noirs. On le sent de plus en plus presse, mais nous ne nous faisons pas de souci : Hubert et Delphine l'ont pris pour la journee. En tout cas, le Ta Prohm est fantastique.

Josh again
Au hasard des detours du temple, nous tombons nez-a-nez avec une vieille connaissance : Josh, l'Americain avec lequel Sylvia et nous avions echange quelques bieres a Si Phan Done (au Laos). Nous sommes ravis de rencontrer a nouveau un type aussi sympa, d'autant que nous n'avions pas vraiment echange nos coordonnees. Rendez-vous est pris le soir meme devant une bonne boulangerie de Siem Reap, et le voila qui disparait dans la vegetation.

Notre guide nous quitte
Quelle surprise lorsque, une fois sortis du temple, notre guide s'exclame :
- Thank you very much, I am now finished with you
- But it's only 3 o'clock !!!
- Yes, but I've worked 8 hours, so now it is home sweet home.

Nonobstant l'absurdite de sa reclamation de 8 heures quotidiennes, dans un pays ou les enfants travaillent surement tres longtemps et pour pas grand-chose, nous faisons le compte et remarquons que notre guide inclut la pause-dejeuner et les trajets. Je songe un instant a le presenter a un syndicat de cheminots...

Toujours est-il que Hubert et Pauline ne veulent ou ne peuvent pas trop reagir, d'autant que le guide a bien prepare son arnaque : il demande au tuk-tuk de mettre le moteur en marche pour mettre la pression a tout le monde. Evidemment, Hubert et Pauline ne peuvent le laisser la, mais pourtant ils avaient loue un guide et un vehicule a la journee (plus precisement jusqu'a 5h30), et ils vont devoir rentrer a 3h30, sachant que c'est leur dernier jour a Angkor. Nous avons nos velos et continuerons la visite, mais eux sont degoutes par tant de mauvaise foi. Nous constaterons les jours suivants, et en en parlant avec ma mere, que l'arnaque est coutumiere du coin : un guide vous dit "oui oui la journee entiere, on fera ce trajet, qui va de Angkor Wat a Ta Prohm, en passant par le Bayon", vous croyez innocemment que vous ferez TOUS les temples sur le chemin, ou que le guide pourra remplir sa journee avec ceux-la.

Mais non, le guide se depechera de tout faire pour pouvoir vite rentrer a la maison. Nous comprenons maintenant pourquoi notre usage des velos l'enervait, car ca le retardait : il aurait pu finir son tour a 13 h, peut-etre ! Nous nous rendons compte avec Aglae que ce guide pourtant officiel et entraine etait un vrai rigolo, et en y repensant la liste est longue : explications breves, chaotiques, superficielles, reponses toujours vagues, utilisation circulaire de 4 blagues vaseuses au maximum, faineantise impensable... En consultant notre guide, nous realisons meme que ledit guide n'a pas fait mention de 1km(!) de bas-reliefs incroyables autour du Bayon.

C'est le debut de notre histoire d'amour avec la faineantise des Cambodgiens lies au tourisme, specialement a Siem Reap ou, forcement, les dollars tombent en continu , car les touristes n'arreteront jamais de venir admirer les temples.

Heureuse fin de journee
Une fois debarrasses de ce guide, dont les explications recoupaient, en plus vivantes toutefois, celles de notre guide, nous partons a l'assaut de deux petits temples anonymes, sur le chemin du retour (environ 8 km tout de meme). Il est frappant de constater a quel point deux facteurs nous donnent l'impression de devenir soudain des archeologues : 1) au moment du coucher du soleil, tous les touristes partent l'observer en haut d'une montagne qui donne sur Angkor Wat 2) des qu'on sort de la trilogie Angkor Wat/Bayon/Ta Prohm, le nombre de touristes au kilometre carre approche du zero.

Intense sensation qui est celle que l'on eprouve lorsqu'on fait l'ascension d'un temple vide, lorsqu'on roule un bon kilometre dans une piste en sable jusqu'a atteindre un temple quasiment oublie. Fraicheur des vieilles pierres, finesse de l'architecture, encore, cette fois doublee de l'impression, si belle meme si toujours fausse, d'etre le premier a voir ca. Et la magie qui n'avait pas marche sur le plus gros des temples de se saisir a nouveau de nous sur les plus petits.

Le retour est long mais nous sommes enchantes, d'autant qu'Aglae a pu se reveiller a temps pour vraiment jouir des temples de l'apres-midi. Nous sommes tous deux neanmoins inquiets quant a sa sante, et decidons d'aller chez le medecin le lendemain si son etat empire. Nous oublions toutefois ces irritants problemes, le temps d'un diner en ville avec Josh. Celui-ci, toujours aussi drole, nous enchante d'anecdotes et d'histoires effrayantes. Il a repere un restaurant ou on peut nourrir des crocodiles, rendez-vous est pris pour le lendemain. En partant du restaurant, nous devons encore corriger l'addition... Encore une fois, Aglae montre qu'elle a des reserves d'energie, en se ruant sur les happy-hours du Blue Pumpkin, boulangerie de Siem Reap inspiree du design de Starck (?).

1 commentaire:

  1. Hello Aglae et Charlie
    Je voulauis déjà vous sire que même si je n'ai pas trop écrit, je suis toutes vos aventures toutes avec délectation, mais aussi, j'avoue parfois, un peu d'inquiétude...J'espère que tu vas mieux Aglaé !
    En tout cas merci, on a reçu ta petite carte à l'EPAMSA, ça fait rever...Ici rien de bien nouveau sous le soleil, NS n'est tjs pas parti en Chine ou a Dubaï. Le mariage se prépare tranquillement mais surement, ça approche !
    a très très vite
    Camille (de l'EPAMSA)

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