samedi 14 février 2009

Phnom Peine (jour 2)

30 janvier

Le lendemain de sa poussée de fièvre, Aglaé ne fait pas la maligne. Nous retrouvons pourtant Davy pour aller visiter le tristement célèbre Musée Tuol Sleng, dit musée du Génocide, sis dans un ancien lycée de PP, qui pendant les 3 années du pouvoir Khmer Rouge fut reconverti en centre de détention et de torture, avant extermination dans les charniers. Ce centre était appelé le S-21, nom qui évoquera quelque chose à ceux qui ont vu le film de Rithy Panh.

La visite idéale, donc, pour bien commencer la journée. Devant le musée, pour bien nous mettre dans l'ambiance, une petite foule d'estropiés et de boiteux fait la manche.

La visite de ce "musée" est particulièrement intense et, je dois le dire, très belle. J'ai du mal à m'exprimer sur le sujet, mais le contraste entre ces murs d'école en béton, qui ressemblent à n'importe lesquels des murs d'école du monde, ce petit jardin où poussent des palmiers, ce cocon de paix dans lequel semble baigner, avec la chaleur, ce lieu, opposé aux atrocités que la muséographie nous apprend, est plus que troublante - elle est nécessaire.

Nécessité sans fin : alors qu'on pourrait croire que ce génocide n'est pas de notre ressort, qu'il est une affaire entre les Cambodgiens et les Cambodgiens et, à la limite, les Vietnamiens qui sont venus ensuite libérer le pays des Khmers Rouges, en réalité une lecture attentive de l'histoire du pays et des textes du musée nous apprend qu'une responsabilité immense incombe aux pays occidentaux, qui ont mis des années avant d'enfin condamner les Khmers Rouges. Pour info, après le génocide, alors que tout le monde savait de quoi étaient responsables les Khmers Rouges (liquidation d'un quart de la population, en gros), les Anglais ont appris aux derniers résistants khmers à poser des mines (qui tuent et mutilent encore tous les jours au Cambodge), et l'ONU a continué à donner un siège aux Khmers Rouges aux Nations Unies, considérant que ces rebelles représentaient encore le pays, et pas ces salauds de Vietnamiens...

Nécessité sans fin, je disais : là où le génocide des nazis contre les Juifs suivait une logique insensée et injuste, elle n'en restait pas moins logique, accessible à l'esprit : il aurait semblé inconcevable que Hitler et Cie tuent tous les Allemands. Ici, nous sommes dans le fond du fond de l'absurdité humaine, puisque les Khmers Rouges, au nom d'une idée (le communisme appliqué a la lettre pour créer une société nouvelle), ont absolument tout détruit : hopitaux, écoles, banques, médecins, gens cultivés, Vietnamiens ou parlant viet, prof ou presque, moines, temples, paysans, paysannerie, tout a été détruit. Ils ont eux-même baptisé le début de leur régime "année zéro". Dès le début, le parti même des Khmers Rouges a subi d'incessantes purges, et il était presque plus dangereux d'être Khmer Rouge que simple paysan. Les bourreaux et tortionnaires du S-21, qui avaient entre 15 et 20 ans, finissaient généralement par être des prisonniers du même centre. Et de ce centre, qui a vu passer des dizaines de milliers de prisonniers, seuls 7 ont survécu.

J'arrête là les informations scolastiques, que vous pouvez trouver par vous-mêmes, et vous urge à mieux vous informer sur ce truc qui jusqu'ici nous touchait sans nous toucher.

La "réussite" si l'on peut dire de ce musée, c'est d'avoir réussi à donner une identité aux victimes. Là où les seules photos que nous avons des prisionniers des camps de concentration nous montrent des êtres privés de toute humanité, des monceaux de cadavres, des numéros sur des crânes chauves et émaciés, bref, des êtres sans visage avec qui il est difficile de s'identifier, le musée du S-21 présente des photos de centaines de victimes, avant incarcération. Collection immense de visages, aux traits cambodgiens, chinois, viets, parfois des visages d'handicapés mentaux, de débiles, souvent des enfants, des bébés parfois, autant d'hommes que de femmes. Et face à ces visages, dont pas un ne ressemble à un autre, rien que le vide. Quelques rares photos de corps brûlés, qui ressemblent à peine à des corps, et que de toute façon Aglaé et moi n'avons pas voulu regarder. Sinon, rien que des visages, et l'absence du corps.

Mais...

Une autre chose était difficile à supporter, sans être du ressort des Khmers Rouges par contre : la plupart des touristes, assez nombreux, qui visitaient le centre en même temps que nous, ne semblaient pas avoir compris qu'ils n'étaient pas en train de visiter un temple, ou un jardin zoologique. Il fallait voir certains gros Américains ventrus visiter l'ancienne école en conquérants, sans avoir l'air choqué, gêné, mitraillant chaque parcelle du musée comme s'il s'était agi d'un beau paysage ou d'un objet d'art, pour comprendre la détresse de Davy.

Ce que ne semblait pas avoir vu Davy, par contre, c'étaient ces touristes qui entraient comme on rentre dans les toilettes d'une gare, et qui ressortaient des salles, le visage émacié, les larmes aux yeux. J'ai eu beaucoup de mal à retenir mes larmes, Aglaé n'a pas pu.

Puis, la chaleur aidant à ne pas se sentir très bien, voilà qu'Aglaé se précipite vers les toilettes, et revient l'air désespéré : elle a vomi. Même si le musée n'y est pour rien, et qu'elle avait commencé à montrer des signes de faiblesse la veille, je trouve le geste assez classieux, ce que ne manquera pas de remarquer Davy : il n'y avait pas de meilleur endroit pour expulser son petit-déjeuner que le Musée du S-21 !

Calvaire pour Aglaé

La petite mistinguette n'a donc pas fini la visite du musée. Elle attendra dans l'ombre que j'ai fini, puis nous nous dirigeons vers un restaurant, afin qu'elle reprenne des forces. Aglaé va mieux, mais la visite du Palais Royal, juste après, ne se fera pas sans douleur.

Le Palais Royal de Phnom Penh est en effet un complexe assez grand, constitué d'une dizaine de bâtiments, et notamment de la fameuse Pagode d'Argent, dont le sol est constitué de 4000 dalles d'argent, et qui contient un splendide Bouddha en or, et un plus petit Bouddha en éméraude. Vraiment très belle visite, sauf qu'Aglaé tient à peine debout et qu'il fait une chaleur à faire fondre le fer. La visite sera donc très longue, et je doute qu'Aglaé en ait tout à fait profité.

Nous passons enfin quelques longues minutes rafraîchissantes dans le jardin/piscine d'un hôtel où a séjourné Davy quelques mois auparavant. Café glacé, ambiance calme et verdoyante. Nous reprenons des forces et le sourire revient.

Ambiance de rue
Davy devant dîner en famille, nous prenons un dîner seul, loin du quartier touristique cette fois, où nous n'avons pas arrêté de manger, et qui est peut-être responsable de la maladie d'Aglaé.

Nous nous retrouvons donc dans un petit boui-boui près de notre pension. Miracle, ils ont une sorte de carte en anglais, sans qu'on sache s'il ne s'agit pas d'une carte avec des prix pour les occidentaux. Mais les plats sont absolument délicieux, et l'ambiance est délirant : le resto installé en pleine rue reçoit un déluge de sons et de musiques provenant de deux télévisions différentes. Nous pouvons même suivre la Star Ac khmère, qui n'est pas plus inoubliable que la nôtre. Les serveurs ont l'air ravis de voir des Occidentaux, dans une ville pourtant absolument bourrée d'expatriés.

C'est là justement un peu le problème de Phnom Penh : il nous aura été très difficile de croiser des Cambodgiens de la ville, et d'avoir l'impression d'y habiter avec eux. Les Blancs sont partout, entre les expats et les touristes, les Cambodgiens prennent sans arrêt des moto-dops, les bus n'existent pas, et personne ne marche jamais dans la rue (principalement à cause de la chaleur). On a donc l'impression d'être sans cesse séparés des gens du coin par une vitre, comme s'il existait des couloirs pour locaux et des couloirs pour occidentaux.

Le soir, la fièvre d'Aglaé est revenue de plus belle. Je la presse d'aller chez le médecin, mais elle me jure que ça va aller, etc.

En réalité, le lendemain a été peut-être encore plus catastrophique.

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