28 février
Toutes les arrivées dans un nouveau pays s'étaient jusqu'ici déroulées plutôt mal : arrivée en Inde en pleine nuit sans hôtel, traversée de la frontière népalaise épique, tous les hôtels pleins à Vientiane... Nous pensions pouvoir échapper à ce qui commençait à ressembler à une fatalité pour notre arrivée au Cambodge.
Cela s'est mieux passé, mais c'était pas la gloire non plus.
Tout d'abord, nous croyions depuis des mois que nous allions pouvoir être logés à Phnom Penh par D.C., ami de longue date, né Français de parents cambodgiens, qui doit y passer un an. Mais, deux jours avant notre départ du Laos, nous apprenons qu'il y a eu mésentente : lui croyait que nous arriverions plus tard ; nous croyions qu'il arriverait dans le pays plus tôt. Toujours est-il que nous sommes arrivés au Cambodge une semaine après son arrivée à lui : il logeait encore chez des cousins cambodgiens éloignés qui parlaient à peine l'anglais, et ne pouvait nous incruster une semaine après son arrivée chez eux.
Avant même de pénétrer au Cambodge, premier échec, parmi une suite hallucinante de bévues, de malchances et de mauvais choix qui caractériseront notre éprouvant séjour au pays des Khmers.
Agence tous risques
Notre seule possibilité de traverser la frontière était de passer par ces ignobles "agences de voyage" qui poussent comme des champignons dans tous les endroits où passent les touristes, et qui balisent notre chemin depuis que nous avons atteint l'Inde du Nord. Dans ces agences, qui font aussi souvent office d'hôtel, d'épicerie, de blanchisserie ou de cyber-café, on peut acheter des tickets de bus, de train ou d'avion, faire les visas, préparer des excursions un peu partout dans la région, réserver des tuk-tuk... Bref, hormis pour les tours organisés, il s'agit de tout faire à la place du touriste, moyennant commission dont le montant n'est jamais su (le principe est que le touriste ne saura JAMAIS le réel prix du bus ou du train), et la plupart du temps il s'agit de remplacer le touriste pour des choses qu'il aurait pu faire lui-même.
Pire, il arrive extrêmement souvent que ces services soient plus ou moins des arnaques : combien de fois, en Inde surtout mais aussi ailleurs, avons-nous été mis en garde par nos guides contre les réservations de tickets par ces agences, où souvent on finit dans un bus miteux, un train pour la mauvaise direction, quand ce n'est pas tout simplement de faux billets qui vous sont remis : après tout, dans la mesure où les routards bougent sans cesse et ne reviennent jamais sur leurs pas, ils ne viendront jamais se plaindre, non ?
C'est donc avec une certaine circonspection que nous nous sommes adressés à ces agences pour passer la frontière, mais hélàs, sur une île perdue au milieu du Mékong, y a-t-il vraiment moyen de faire autrement ? Après avoir éliminé toutes les agences qui n'arrivaient pas à nous dire clairement s'ils allaient nous attendre pendant le passage de la frontière, nous réservons un billet pour Stung Treng, première ville cambodgienne après la frontière, car notre guide nous indique que les bus cambodgiens sont peu chers et plus rapides.
Au matin du départ, nous nous débarrassons de nos derniers kips, puis allons au point de RDV. Là, les touristes sont parqués comme des moutons, on les agglutine dans de frêles barques, puis on les fait remplir des minibus en chaleur. Rapide trajet jusqu'à la frontière, le temps de faire ses adieux au Laos, mentalement j'entends.
One dollaaa
La frontière cambodgienne, nous nous y étions préparés, est l'occasion pour nous de la première rencontre du voyage avec la corruption. En effet, si on considère une frontière entre deux pays plus ou moins communistes, et qu'on ajoute aussi que la frontière, paumée comme pas possible dans la forêt, consiste en deux baraques et un restaurant, il est difficile de s'attendre à beaucoup de probité de la part des fonctionnaires de la frontière.
Conformément à notre Lonely Planet, chaque fonctionnaire à qui nous avons affaire nous demandera posément, naturellement, de lui donner un dollar. Pour un peu, ils allaient afficher un panneau Bakshish 1 dollar. Un dollar pour le tampon de sortie du Laos, un dollar discrètement ajouté au coût du visa cambodgien à la frontière (21 dollars annoncé au lieu de 20), puis enfin un dernier dollar pour faire tamponner son nouveau visa cambodgien, deux mètres plus loin : chaque billet finit son vol dans de grandes valises ouvertes aux quatres vents.
Merveilles du communisme 21e siècle. Un des officiers cambodgiens avait d'ailleurs acquis un don singulier et fort utile, puisqu'il semblait savoir dire "donnez un dollar" dans toutes les langues de la planète. Ca le faisait sourire, le gars...
Pauses sponsorisées, cours du ticket de bus en chute
Dès que nous quittons officiellement le Laos, un roquet vient à notre rencontre. Petite mèche, sourire faux, lunettes d'intellectuel nazi, accent américain de contrefaçon, ce Cambodgien a tout pour plaire, et fera tout pour confirmer cette première impression : il saute sur nous et nous demande notre destination.
- Stung Treng
- Ah and what are your plaaaaaans after ? You want to go to Phnom Penh, maybe ? Or Siem Reap ?
L'homme a une voix mielleuse de serpent lascif, et nous sentons l'entourloupe arriver à grands pas.
- Ah you go to Phom Penh ? Take our bus, very cheap, 15$
- No no we want to take a local bus
- oh there is no bus in the afternoon, only in the morning, you will have to spend the night in Stung Treng, boring city.
Nous envoyons promener le type à coups de "on verra", un peu inquiets tout de même de la possibilité qu'il dise vrai, tout en étant sûr qu'il est là pour vendre sa came. D'autant qu'il ressert le même discours à tous ceux qui n'ont pas déjà payé leur 15 dollars supplementaires pour Phnom Penh. Son insistance lourde confirme nos craintes.
Douce France
Nous montons dans un confortable mini-van pendant que les autres touristes s'entassent dans un vieux bus pour la capitale. Nous y faisons la rencontre de 4 Français, deux couples pour être précis, fin trentaine, bourgeois aisés de province. Elles sont diplômées mais ne travaillent pas, l'argent de leurs maris (l'un est pilote de ligne, l'autre psychiatre) leur suffisant largement pour survivre aux horreurs du quotidien. Ironie mise à part, ils sont adorables et la conversation va bon train. Le psychiatre me parle sans arrêt, d'une voix précipitée, en bouffant tous ses mots, au point que je me demande s'il vient de trouver un sujet d'étude, ou bien si c'est lui qui doit se faire soigner, mais les autres sont rassurants de normalité.
Et surtout, ils sont Français, et ça se voit, à un point inimaginable. Ils sont déjà en train de râler sur tout, et la suite va les déchaîner. Nous arrivons enfin à Stung Treng, enfin presque : alors que nous espérions ardemment la station de bus, nous arrivons devant un restaurant où une cinquantaine de touristes aux yeux froncés par l'énervement et l'attente dégustent des plats hors-de-prix. Variation cambodgienne du restaurant "ami" devant lequel se pose le bus : on pose les touristes loin de tout, ils ont faim, ne savent pas où trouver d'autre bus ou au moins un restaurant, ils sont captifs, on peut donc les détrousser allègrement.
Dès notre arrivée, un homme se précipite de nulle part à notre fenêtre, et nous demande où nous allons. Les Français vont à Kratie, sur le chemin de Phnom Penh. Le type nous raconte une histoire drôle : "j'ai un bus, pas celui de cette compagnie, un bus à moi, moins cher, je vous emmène à Kratie ou Phnom Penh". Pour la capitale, le prix est de 8$, la moitié presque du prix précédent. Le type nous dit que le bus arrive, on verra ça va être super. Au bout de quelques minutes, nous lui demandons quel est son bus, il nous montre celui bondé de touristes, qui était déjà à la frontière. Franche rigolade de notre part : en 30 minutes, les prix ont été divisés par deux. Le type ne cache plus son subterfuge, et va discuter avec le sosie d'Adolf Hitler cambodgien à lunettes. Nous acceptons d'aller jusqu'à Kratie avec les Français, qui insistent pour avoir un minibus à eux plutôt que le bus qui, de toute façon, est plein comme un oeuf.
Wait wait wait
Le monsieur nous dit d'attendre. Attendre quoi ? Personne ne veut manger dans ce restaurant qui sent l'arnaque et le poisson congelé. Silence gêné d'Adolf, puis Les autres passagers ! Nous lui montrons que nous sommes tous là. Nous attendons le chauffeur. Nous retrouvons ce dernier en train de ronfler sur sa table. Les Français, décidés à bien représenter la réputation nationale de gros râleurs, font un scandale, et le minibus repart.
Premiers contacts
Quelques heures passent, à rouler au milieu d'une plate campagne plutôt verte. Affleurent sur la route des milliers de portraits des 3 dirigeants du Parti Communiste, qui partagent la tête du pays avec les Royalistes, et partout des panneaux indiquant que telle maison ou tel quartier est fidèle soit au Parti du Peuple Cambodgien (communistes), soit au FUNCINPEC (royalistes), soit au Sam Rainsy Parti (seule véritable opposition démocratique, assez puissante cependant). Nous atteignons enfin Kratie, petite ville calme, où nous retrouvons l'inénarrable bus pour Phnom Penh, encore une fois stationné devant une guest-house amie, qui comme par hasard sert aussi des repas et des boissons. Nous fonçons à la "station de bus" du coin, pour remarquer que le Hitler cambodgien n'avait pas tort : aucun bus ne part plus vers PP, à part des taxis collectifs et des minivans. Autant reprendre le bus. La chaleur nous étrangle tellement que nous cédons à l'appel du restaurant ami, et prenons un coca et une délicieuse noix de coco fraîche.
Nous payons le ticket, un peu déçus que le prix du voyage n'ait pas encore une fois été divisé par deux, et nous asseyons au milieu des autres touristes : nous avons changé 3 fois de bus, pas mal négocié, mais nous avons gardé notre indépendance et surtout payé le vrai prix, à la cambodgienne. Pour une fois, nous n'avons pas (trop) fait n'importe quoi !
Sombre capitale
Ce qui ne change pas, par contre, c'est notre aptitude à arriver de nuit dans chaque capitale. Après un très long trajet assez ennuyeux, mais miraculeusement vierge de tout karaoké, notre bus nous dépose.... allez devinez !
Devant une guesthouse-restaurant amie, très loin de la station de bus qui jouxtait les quartiers des pensions pour budgets modestes
(vous voyez c'était pas dur hein?)
Râlerie inefficace, le personnel du bus, toujours aussi aimable, nous informant de la possibilité de faire appel aux services de leurs amis les tuk-tuks, ceux-ci nous attendant déjà, sourire carnassier aux lèvres. Et si nous ne voulons pas prendre de tuk-tuk, quel hasard, il y a une guest house JUSTE LA, avec des chambres presque pas ruineuses.
Nous fulminons, prenons nos sacs. Aglaé est passablement énervée contre ces gens, et force est de remarquer que pour l'instant tous ceux que nous avons rencontré qui sont liés de près ou de loin au passage des frontières sont de beaux filous.
Derniers plans, une invitation
Il y a 7 ans
Ce qui est fun avec Phnom Penh, c'est que la ville n'est, de mémoire, pas éclairée la nuit :-)
RépondreSupprimer