mercredi 6 mai 2009

Le KFC de Tokyo

1er avril

Une fois rentres a Tokyo, les consequences de notre desorganisation de la derniere fois se font encore sentir, puisqu'il faut reserver un hotel pour le soir meme. Par miracle, il reste une derniere chambre dans l'auberge de jeunesse qui nous avait tant plus quelques jours auparavant. Ce qui est moins miraculeux, c'est que je ne comprends pas bien le prix qu'on me donne au telephone, prix qui est 3 fois plus grand que celui que nous avions paye la derniere fois, "parce qu'il ne reste plus qu'une chambre triple".

Quelques negociations avec le patron qui se trouve etre un francais, et nous nous arrangeons. Il se fait vite tard, et nous devons nous nourrir. Le probleme c'est qu'il se met a pleuvoir tres fort dehors, et qu'il n'y a pas beaucoup de restaurants dans le quartier. L'autre probleme, c'est qu'Aglae, assez fatiguee, nous fait un petit caprice fort comprehensible : apres des mois de restaurants chinois et apres 5 jours de restaurants japonais, elle a juste envie d'un McDonald's avec de rassurants nuggets.

Sauf que le McDonalds est tres loin, qu'il pleut, que la pluie se transforme en orage, que la foudre se rapproche, et que moi j'ai tres envie de manger japonais. Mini-dispute assez absurde :
"Mais va manger ton japonais, je t'accompagne, puis on ira au McDo !
- Ah ben bonjour l'ambiance, hein, chacun a regarder l'autre bouffer !
- Mais j'ai pas envie de manger japonais, Charly, c'est tres bon mais j'en peux plus des nouveaux plats !
- Mais le McDo berk on en a pris a Hong-Kong il y a a peine une semaine !

Je vous laisse imaginer le niveau intellectuel de la brouille, motive pour ma part par des considerations ethiques assez viles. Nous finissons par nous decider a manger l'un apres l'autre dans un resto japonais, puis au Donald's, si possible avant de mourir foudroyes. Je mange de delicieux beignets de gambas dans un succulent bouillon de nouilles, mais lorsque nous nous retrouvons devant le McDonalds, catastrophe ! Au Japon, les McDo ferment a 20h30 ! Et ils en sont fiers en plus, ils mettent un panneau : nous on ferme a 20h30 !

Aglae s'embarque donc dans un processus tres feminin : la culpabilite. Elle se persuade a la vitesse de l'eclair que c'est sa faute, elle n'avait qu'a pas faire de caprices. Et lorsque nous echouons dans un KFC (la seule chose ouverte pas loin), ces restos de poulet pane frit, elle decide de prendre le plat le plus petit et le moins cher pour expier sa faute imaginaire.

Moi : Arrete Aglae c'est absurde, nourris-toi, quoi !
Aglae : non, c'est bon, j'ai pas faim ! (les connaisseurs reconnaitront une replique bien feminine)

Le moine sauveur des estomacs vides
Alors que nous sommes un peu deprimes par la tournure de la soiree, j'entends un souffle rauque, et me tourne vers l'escalier - car nous mangeons a l'etage du fast-food. C'est un homme de la soixantaine, peut-etre moins, qui est en train de s'echiner a faire monter a une enorme valise les nombreuses marches qui separent les deux etages. L'homme est un veritable comedien : il nous regarde avec un petit sourire miserable, il fait des mines, essuie de son front une sueur imaginaire. Il est a moitie en train d'appeler a l'aide.

Je me leve donc et porte sa valise (vraiment lourde) pour les 6 derniers marches. Puis, d'autorite, je l'amene jusqu'a la place qu'il s'est choisie. L'homme, duquel emane une puissante odeur d'alcool, fait des mimes pour faire rire Aglae pendant que je porte sa valise, puis se confond en remerciements. Nous regagnons notre place, mais deux minutes plus tard, l'homme revient vers nous. Il nous parle en japonais, fait signe vers notre plateau degarni, vers lui, vers le comptoir de l'etage en-dessous. Au debut nous ne comprenons rien, puis je me demande s'il ne veut pas nous offrir quelque chose, d'autant qu'il fait les signes de manger et de boire.

Enfin, lasse de notre manque de comprehension de la langue nippone, il me prend par le bras et me fait descendre les degres qui menent au comptoir du fast-food. La, il explique au serveur ce qu'il veut, me fait des mines vers les photos des menus, et exige de moi une decision ferme. Je commence a comprendre, mais suis evidemment trop gene : pourquoi volerais-je l'argent d'un miserable ivre mort ? Excede de ma gene, le vieil homme demande au serveur de choisir pour moi un menu avec deux boissons, deux frites et une tonne de poulet.

Nous remontons. A savoir d'ailleurs : les Japonais ont completement biaise le principe du fast-food, puisque les serveurs vous amenent vos plateaux a votre table, et les debarrassent quand vous avez fini. Comme un restaurant, oui... Nous remercions dix fois, quinze fois, et acceptons l'invitation du monsieur de le rejoindre a sa table. Il ne parle toujours pas un mot d'anglais.

S'ensuivront des moments incroyables, qu'on peut difficilement trouver hors du Japon : des contorsions et des dessins pour expliquer au monsieur qui nous sommes, la meme chose de sa part pour nous faire comprendre qu'il est un moine bouddhiste (enfin nous n'en serons jamais surs), lui qui montre ses photos de voyage a la femme qui fait le menage dans le KFC, elle qui ecoute patiemment et gentiment parce qu'on ne froisse JAMAIS un aine, meme et surtout quand il est ivre, une dame d'age mur, tres elegante meme avec un poulet tout gras dans les mains, qui nous regardait avec un rire de connivence, le moine ivre qui ne mange rien et qui nous donne a finir ses plats (en plus de l'enorme truc qu'il nous a commande)...

A la fin, il ordonne aux serveurs de nous faire un paquet avec les morceaux que, le ventre gonfle a craquer, nous n'avons pas pu finir. Puis il sort une cigarette, nous demande si nous fumons. Devant notre refus, il refuse que nous soyons incommodes par sa fumee, et nous congedie assez brutalement.

Nous nous retrouvons dans la rue, hebetes, un sachet a la main rempli de morceaux de poulet frit tout froid, une serviette de table dans l'autre, gribouillee d'informations sur le moine ivre -informations en japonais que nous n'avons toujours pas pu faire decrypter. Il ne pleut plus, et Aglae ne regrette plus son caprice.

Nous venons de vivre une des rencontres les plus extraordinaires de notre voyage, a egalite avec la discussion avec Maharadjah Shiva, il y a de ca 3 mois.

2 commentaires:

  1. excellent, j'aime beaucoup cette rencontre et la dispute qui la précède<;

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  2. dorot qui va te voir dans 1 mois !!!!7 mai 2009 à 17:18

    je te reconnais bien ma souerette avec ton "j'ai pas faim" !!
    soulagement: en 6 mois tu n'as pas changé :)

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