Faire le tour de Tokyo pour aller chercher deux visas mongols au milieu d'un quartier residentiel a la noix, c'est deja penible. Mais le faire alors que vous avez un train qui part en début d'après-midi signifie que vous allez participer à une course en transports en commun. C'est-à-dire que ce sera psychologiquement une torture. Laissant Aglaé à l'hôtel (toujours le blog à rédiger), je m'occupe de ces formalités. Oh la joie de ressortir de l'ambassade de Mongolie avec le tout dernier visa du voyage !
Lorsque je reviens, j'ai beau etre affamé, il faut repartir en 4e vitesse, dans l'autre sens, afin de chopper notre train pour Kyoto. C'est la première expérience de Shinkansen d'Aglaé, elle en est toute excitée d'avance, mais encore faut-il être assurés que nous l'attraperons, ce satané train !
Au fond, un Français n'est jamais totalement stressé lorsqu'il est en retard pour son train : la probabilité que le train parte sacrément en retard est toujours là, tapie derrière l'hypothèse d'une grève éclair, d'un "incident de signalisation", voire de l'affreux "incident de voyageur". Au Japon, ce rêve est une chimère : nous voyageons au pays des trains qui partent à l'heure. Le slogan de JR, la SNCF nippone : vous pouvez régler vos montres sur l'arrivée du train en gare. Et le plus fou, c'est que ce slogan est vrai, le train part à la seconde près.
Aglaé ne croit pas une seconde à mon espoir fou d'attraper le train quand même : "c'est pas grave, on aura le prochain, Charly". Quant à moi j'y crois dur comme fer, avec l'assurance stupide de celui qui ne veut pas avoir tort (encore moins face à une femme ah ah ah). Assurance stupide ou pas, nous courons dans les couloirs de la gare, tournons sur nous-mêmes, guettons les panneaux de signalisation, et parvenons "in extremis" à nous ruer dans ce Shinkansen (TGV japonais) dont les machoires de fer se referment sur nos ombres.
De la psychorigidité des hôtesses japonaises
Nous sommes exténués, en sueur, au bord de la crise d'hypoglycémie, mais nous sommes dans notre foutu train. Cerise sur le gateau : j'avais raison et Aglaé avait tort. Les Shinkansen sont une merveille : magnifiques à l'extérieur, luxueux à l'intérieur, rapides comme des flèches, ponctuels et surtout très fréquents (sur la ligne principale, un départ toutes les 5 minutes en moyenne, à comparer avec l'unique départ par heure du TGV Paris-Lyon, dont nous sommes si fiers).
Bombant le torse, je propose d'aller lui chercher à manger. Le train roule déjà dans l'infinie banlieue de Tokyo, mais je ne trouve d'abord pas l'hôtesse qui, habituellement dans les trains japonais, pousse un énorme caddie rempli de victuailles salées ou chocolatées.
Je reviens, et m'aperçois qu'Aglaé, à mon image, est au bord de s'évanouir de faim. Je repart dans une quête de l'hôtesse, la trouve arrivant dans le wagon d'à côté. Je m'approche d'elle, souriant, sort mon porte-monnaie. Non. Pas possible. Il faut attendre que je vienne à votre niveau, dans votre wagon, devant votre siège. Refus de vente : nous découvrons un des traits les plus compliqués du caractères japonais. Le manque de souplesse. Si les Japonais dans leurs relations sociales sont prêts à tout quitter pour aider l'autre, dès qu'ils travaillent ils trouvent un goût de la chose bien faite qui les fait se fermer à toute alternative. On a donc un service parfait, mais qui sera toujours celui prévu.
Nous finirons par pouvoir lui acheter les denrées nécessaires à notre survie, mais après être passé au bord de la famine, à quelques mètres de son chariot...
Pour ceux qui n'en ont jamais entendu parler, il y a d'ailleurs quelque chose de très drôle dans les trains japonais, qu'on ne remarque pas forcément si on n'y fait pas attention. Quand un membre de la compagnie (contrôleur, femme au chariot, conducteur) traverse le wagon et atteint le vasistas qui le mènera au wagon suivant, il se bloque, se retourne, et fait une longue courbette aux honorables passagers. Qu'importe le nombre de passagers, et surtout qu'importe qu'ils le regardent ou pas (personne n'y fait attention de manière générale). Une Française rencontrée plus tard dans le voyage nous racontait qu'une fois elle était seule dans un wagon, que le contrôleur avait fait sa courbette habituelle, qu'elle avait hurlé de rire : le type s'était aussi mis à rire.
Complètement Fouji
Il parait que certains Japonais font le trajet Tokyo-Kyoto des centaines de fois, et qu'ils ne voient jamais le Mont Fuji, qui est pourtant théoriquement très visible depuis la ligne de Shinkansen. La faute à la brume et aux nuages, qui coiffent souvent l'honorée montagne si chère aux coeurs nippons.
Et nous, pour notre premier trajet, que ne voyons-nous pas l'incroyable Mont Fuji, seul et majestueux, trônant au milieu de sa morne plaine, promenant son chapeau de neiges éternelles avec fierté et orgueil ! Oh la chance, oh la joie. Les photos suivront, ne vous inquiétez pas.
Et quand à notre arrivée à Kyoto, ce sera pour le message suivant.